Elles étaient sept. Elles voulaient changer le monde, au nom de la liberté. Alors que les femmes venaient à peine d’obtenir le droit de vote au Québec en 1940, portées par le combat de pionnières suffragettes telles Idola Saint-Jean, Marie Gérin-Lajoie, Thérèse Casgrain, Lady Drummond, d’autres illustres québécoises se sont retrouvées au carrefour d’une révolution socioculturelle d’après-guerre qui allait marquer à tout jamais l’histoire de la nation québécoise.

Elles se nomment Madeleine Arbour, Muriel Guilbault, Marcelle Ferron, Thérèse Leduc, Louise Renaud, Françoise Riopelle et Françoise Sullivan. Certaines ont quitté ce monde, alors que Madeleine Arbour et Françoise Sullivan demeurent les deux dernières témoins d’une époque qui aura propulsé le Québec dans la modernité. Avec le récent départ de Françoise Riopelle, le 18 juillet dernier, et à la veille du 75e anniversaire de la publication du manifeste Refus global, qu’on célébrera en 2023, le temps est venu de remettre en lumière leur immense contribution à notre histoire et notre patrimoine culturel, et ce, avant que ne disparaissent celles qui portent toujours de leur vivant ce legs inestimable de notre histoire.

Lisez « La chorégraphe signataire de Refus global disparaît »

Les témoignages des derniers jours en hommage à Françoise Riopelle viennent nous rappeler que les femmes signataires de Refus global sont des artistes à part entière, des pionnières, portées par une soif de liberté sans compromis, une soif de liberté créatrice inébranlable. Elles ont défié les conventions de l’époque, refusant d’être reléguées à leur rôle d’épouse, de mère, de ménagère, sauf quelques exceptions.

Elles ont fait de l’expression artistique un puissant véhicule de revendication, de révolution, un plaidoyer en faveur du renouveau social et culturel, la quête ultime d’une créativité libre et affirmée, une chorégraphie enchaînant toutes les formes d’art, confrontant deux réalités : le conservatisme politico-religieux de l’époque et l’idéal d’une société moderne et progressiste où l’artiste est citoyen.ne à part entière dans l’espace créatif et public, où hommes et femmes peuvent s’épanouir librement. Une invitation à sortir de cette « Grande Noirceur » pour faire place à la lumière, là où l’art éclaire la voie tel un phare en devenant un geste fondamentalement social.

Le mouvement artistique initié par Borduas, qu’incarnent ceux que l’on surnommera plus tard les Automatistes, représentait une égalité révolutionnaire pour l’époque. Sept femmes, neuf hommes. On se féliciterait aujourd’hui d’avoir atteint la « zone paritaire ». Certains avancent même que Borduas, dans un élan on ne peut plus précurseur, aurait même attendu que certaines des signataires puissent avoir atteint l’âge de la majorité légale avant de publier le manifeste. Elles ont, au même titre que leurs confrères cosignataires de 1948, marqué l’Histoire de l’art québécois par leur courage et leur détermination, allumant ainsi l’étincelle qui ouvrira la voie à la Révolution tranquille et aux changements sociaux qui ont profondément redéfini et libéré le Québec dans les années 1960.

Les limites imposées venaient d’un autre monde,
le monde des adultes que nous voulions changer,
le monde des restrictions,
le monde négatif, le monde de préventions et d’ordonnances.
[…]
Il faut léguer à notre génération future.
Faire face à cet étouffement d’une société qui prétend mais n’ose pas. Il s’agissait de se retrouver, d’un petit groupe convaincu du legs reçu pour faire basculer cette fausse solidité.
Et la roue tourne.

Extrait d’un texte inédit de Françoise Riopelle daté du 18 janvier 2003. Archives famille Françoise Riopelle.

Cette soif de liberté, Françoise Riopelle l’aura incarnée, à l’instar de ses consœurs, tout au long de sa vie et de sa carrière. Artiste pluridisciplinaire de grand talent, créatrice, pédagogue et chorégraphe renommée, elle fut à la fois mère de trois enfants – Yseult et Sylvie Riopelle ainsi que Patrick Mercure – tout en étant une femme libre et moderne avant l’heure, s’émancipant à la fois comme artiste et comme femme dès les années 1950. Entrepreneure culturelle audacieuse, elle lance à son retour de Paris, où elle vécut de 1946 à 1958, sa propre école de danse, en collaboration avec Jeanne Renaud.

Cette dernière cofondera avec elle quelques années plus tard le Groupe de danse moderne de Montréal, dont l’école affiliée deviendra la toute première entièrement consacrée à la danse moderne au Canada. Enseignante à l’UQAM dès la création de l’université en 1969, on lui doit aussi la création du module de danse moderne et son groupe Mobiles, intégrant danse et jeu de scène. Elle sera une pionnière dans l’intégration de l’expression corporelle dans les milieux éducatifs.

Il est grand temps d’exercer collectivement notre devoir de mémoire, de renouer avec notre histoire. À l’heure où la notion de fierté québécoise s’inscrit dans la redéfinition de notre identité, concevons que l’âme d’un peuple repose sur sa capacité à connaître, transmettre et célébrer ce patrimoine qu’il incarne. Il est temps que les femmes qui ont marqué notre histoire puissent voir leur contribution reconnue, sur nos scènes, sur nos écrans, dans nos bibliothèques, dans nos classes, dans nos musées et dans l’espace public en général.

Au nom de la liberté, souvenons-nous de leurs courageux combats qui nous permettent aujourd’hui de vivre dans une société qu’elles ont elles-mêmes contribué à concevoir et à améliorer.

* Yseult Riopelle, Sylvie Riopelle, Patrick Mercure, Rose-Marie Arbour, Janine Carreau, Ray Ellenwood, Manon Gauthier, Claude Gosselin, Gilles Lapointe, Isabelle Leduc, Lorraine Pintal, Françoise Sullivan et René Viau

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