Dans les dernières années, beaucoup de travailleurs ont quitté leur emploi pour de meilleurs salaires, des horaires plus stables et des conditions de travail plus avantageuses. La Grande Démission, comme on l’appelle, a frappé particulièrement fort le milieu de la santé. Aux États-Unis, selon certaines estimations, c’est 20 % du personnel de la santé qui aurait quitté son emploi dans les deux dernières années et de ce nombre, 30 % serait des infirmières. De plus, dans un sondage, sur 1000 professionnels de la santé, 28 % aurait quitté pour cause d’épuisement professionnel.

Au Québec aussi, la pandémie a exacerbé des problèmes. Il y a un manque de personnel soignant, les cas sont plus lourds, et la charge de travail n’a fait qu’augmenter. Ce qui fait que les employeurs en sont à imposer des heures supplémentaires obligatoires, à contracter avec des agences de placement et à fermer des lits. Tout ceci rend la tâche d’organiser le travail et les horaires des plus ardues. Or, chaque employé qui quitte son emploi met une pression énorme sur le reste de l’équipe de soins. La charge de travail pour les employés restants est augmentée, il y a plus de fatigue, plus d’épuisement et d’autres partent à leur tour.

Le rapport Savoie

Le 22 juin 2022, la sous-ministre à la Santé, Mme Dominique Savoie, déposait un rapport pour expliquer certaines difficultés vécues durant la pandémie et proposer une démarche pour améliorer le réseau de la santé.

Mme Savoie écrit que la pandémie a montré que depuis la réforme de 2015, les autorités centrales sont trop engagées dans la gestion courante des opérations, que les gestionnaires sur le terrain sont en quantité insuffisante pour les équipes, qu’ils n’ont pas assez d’autonomie et d’imputabilité, et que la présence insuffisante de gestionnaires intermédiaires a limité la gestion de proximité et éloigné la prise de décision.

Souvenons-nous, il y a 7 ans, le ministre de la Santé de l’époque a supprimés 1300 postes-cadres sur un total de 6000, aboli les conseils d’administration des établissements de santé et centralisé les prises de décision autour de 22 agglomérations, les CISSS et CIUSSS. Dans certaines régions administratives, ces coupes ont représenté jusqu’à 25 % des effectifs de gestion.

Or, la charge de travail n’a pas diminué, les gestionnaires ont plus de responsabilités, plus d’employés, et il y a un plus grand nombre d’installations à couvrir.

Mme Savoie recommande de recentrer le rôle du ministère de la Santé et des Services sociaux autour de l’élaboration des politiques, des stratégies et des orientations. Et elle suggère de laisser les établissements organiser les services de santé, faire les suivis budgétaires et s’assurer que les équipes sont fonctionnelles, autonomes et liées transversalement aux autres équipes de l’hôpital.

De nombreux systèmes de santé de pays européens encouragent les hôpitaux à devenir plus autonomes ou quasi autonomes. Des réseaux où les structures décisionnelles sont décentralisées afin que les bons intervenants aient à leur charge les responsabilités du personnel et des finances.

En Grande-Bretagne, depuis plus de 20 ans, les hôpitaux peuvent acquérir plus d’autonomie sur la gestion, l’organisation de soins et les finances. Les hôpitaux qui sont efficaces et qui font des économies peuvent garder les surplus et les réinvestir dans de nouvelles ressources et de nombreux services.

Revoir la gouvernance

Dans un article de la revue Health Affairs d’août 2015, des chercheurs des universités Harvard et de Stanford ont voulu démontrer l’importance des directions et des conseils d’administration des établissements de santé dans l’organisation, la prestation et la qualité des soins offerts au patient. L’étude en question évalue les activités des conseils d’administration et les pratiques de gestion adoptées par des administrateurs de 103 hôpitaux aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Dans leur recherche, les auteurs font ressortir que la gestion joue un rôle crucial dans la performance globale des hôpitaux et que les hôpitaux avec d’excellentes pratiques de gestion, c’est-à-dire qui avaient obtenu de bons résultats dans les secteurs des opérations, de l’atteinte des cibles et des ressources humaines, sont davantage associés à un conseil d’administration qui est proactif et performant.

Ce qui fait dire aux chercheurs que des incitatifs et des formations doivent être pensés pour aligner la gestion hospitalière et la gouvernance à des objectifs de qualité des soins et de performance organisationnelle.

La décision de 2015 de mettre au ballottage 6000 cadres pour en éliminer 1300 pourrait être remise en question. En effet, dans les équipes, chaque individu connaît les autres personnes du groupe, ce qui permet de bâtir un milieu de travail où il y a une compréhension de ce qui doit être fait. D’où l’importance de gestionnaires intermédiaires, de coordonnateurs, de chefs d’équipe pour gérer les équipes et maintenir une cohésion au sein de l’équipe.

Les hôpitaux doivent pouvoir compter sur des gestionnaires capables de motiver, d’inspirer et d’aller chercher le meilleur de chaque employé. Des leaders qui ont des coudées franches pour supporter les équipes sur le terrain.

De nombreuses pratiques médicales, tant en première qu’en deuxième ligne, sont organisées en équipe. Les hôpitaux sont subdivisés en unités, en départements et en spécialités afin d’offrir des soins et services aux patients. D’autres, comme la Cleveland Clinic, ont remodelé leurs équipes en fonction de certains traitements. L’objectif étant que les infirmières, les médecins et les autres employés collaborent étroitement pour briser les silos.

Dans une chronique de la revue The Economist, le journaliste signale que le travail des gestionnaires est presque toujours nécessaire, quoi qu’en pensent certains. Que les équipes ont besoin de leaders indépendamment de la qualité des personnes responsables, et ce, même s’ils ne sauvent pas des vies. Parce que quelqu’un doit prendre les décisions pour empêcher la machine de s’engouffrer dans de sempiternelles discussions.

La pérennité des soins en milieu hospitalier ne peut être atteinte sans une véritable politique de gestion de proximité où les directions sont bien en place et des équipes présentes et en nombre suffisant sur le terrain. Les employés du réseau n’ont pas perdu leur passion pour la santé, mais ils veulent être respectés, se sentir bien au travail et avoir un meilleur équilibre travail-famille. Ce qui est tout à fait normal.

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