Depuis plusieurs semaines, je bous. L’annulation de Roe c. Wade a fait fondre ce qui me restait d’espoir de construire un monde meilleur. Dimanche, quand j’ai lu que cette décision catastrophique pourrait étendre ces tentacules juridiques jusqu’aux cliniques de fécondation in vitro américaines, l’eau bouillante s’est transformée en geyser.

Je suis la maman d’une crevette, d’une Rose, 5 ans, et d’un poulpe. La crevette et le poulpe étaient tous les deux porteurs d’une anomalie génétique inconnue au bataillon qui cause des malformations très importantes. Après des échographies sans appel, des fontaines de larmes et des cris à l’injustice, j’ai décidé d’interrompre chacune des deux grossesses au début du 2e trimestre et amorcé un long et houleux processus de deuil.

Lisez l’article « La fécondation in vitro en péril ? » du New York Times

Ce n’est qu’il y a quelques semaines, quand la décision de la Cour suprême américaine a fuité, que je me suis mise à m’identifier comme une femme qui avait avorté. Deux fois. Même si mes enfants étaient désirés et déjà aimés. Même si on parle d’interruption médicale de grossesse, et non volontaire. Pourtant mes raisons d’avorter valent celles de toutes les autres femmes qui avortent. Et leurs raisons — qui ne sont pas de nos affaires d’ailleurs – ne devraient jamais les empêcher d’obtenir le même soutien extraordinaire auquel j’ai eu droit dans le réseau de la santé québécois.

Avec cette récidive génétique, une autre porte s’est ouverte : la fécondité in vitro avec diagnostic préimplantatoire. Ce traitement n’offre que deux garanties : celle de coûter un bras (parce que non, ce n’est pas couvert, nous ne sommes pas dans l’incapacité de procréer) et celle d’être bourrée aux hormones pendant des semaines. Un enfant naîtra peut-être, mais rien n’est moins sûr. Choisir cette option donne un sens à nos deux anges. Mais je me demande souvent si je n’ai pas franchi la fine ligne entre ne jamais abandonner et s’acharner.

1000 chemins

Mes décisions ne sont ni bonnes ni mauvaises. J’aurais pu prendre 1000 chemins. Mais ce sont les miennes. Parce que, même si j’ai le meilleur amoureux du monde, la décision me revient. C’est moi qui ai porté nos enfants, qui suis entrée en salle d’opération, qui passerai les prochains mois à faire des allers-retours à la clinique. Moi et personne d’autre. Surtout pas des politiciens et des juges qui n’ont rien compris.

Alors quand je lis que non seulement le droit à l’avortement recule, mais que même les femmes qui choisissent le long et difficile processus de fécondation in vitro pourraient en subir les conséquences, je me dis que le monde est fou et que les femmes sont encore une fois coincées dans une tempête parfaite, dont les dégâts pourraient être bien plus graves qu’on ne l’imagine. Et ça me fait bouillir de rage.

Certains me diront que je suis encore jeune, que j’ai une belle grande fille en santé, que ça se passe de l’autre côté de la frontière. Ça ne me réconforte pas. Ça ne me rassure pas. Au contraire, cet aveuglement m’indigne.

Écrire sur Twitter que le libre-choix n’est pas en danger sur notre grand territoire ne suffit pas. À quand un accès rapide, facile et sans préjugé aux soins de santé pour toutes les femmes enceintes partout au Québec ? À quand une autre option que celle de faire une fausse couche dans la salle d’attente bondée des urgences ? À quand des sages-femmes partout où les femmes les réclament ? À quand la fin des tabous sur le deuil périnatal et des ressources pour les parents endeuillés ? Quand les femmes seront-elles au cœur des décisions qui les concernent ?

Il y a trop à faire pour ne pas s’y mettre dès maintenant.

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