D’Alpha à Oméga. Du début à la fin. Cette expression consacrée nous ramène à l’utilisation de l’alphabet grec ancien. On se demande surtout combien de lettres s’insèrent entre Omicron et Oméga. Cherchant ainsi à imprimer dans notre esprit que le nombre de variants de SARS-COV2 devrait être limité… Pensée magique !

J’ai l’intime conviction que le coronavirus n’a pas une grande connaissance de l’alphabet grec et qu’il n’arrêtera pas de nous embêter parce qu’il ne reste plus de lettres pour le nommer. Il faut compter sur d’autres phénomènes biologiques et sur des données solides pour nous aider. Et certainement pas seulement pour la COVID ! Le cancer aussi se modifie dans le temps.

À l’instar de la COVID, il convient donc de bien répertorier les maladies, les dénombrer, déterminer les variables dans le temps qui peuvent être associées à un moins bon pronostic ou à une augmentation de l’incidence. Ainsi, et surtout, en est-il du cancer. Récemment, La Presse présentait un dossier sur l’absence de registre des cas de cancer au Québec⁠1. Ce qui s’étend devant nos yeux à Rouyn-Noranda en est la conséquence et devrait porter les acteurs de la Santé publique à exiger la mise en place d’un tel registre avec un sentiment d’urgence. Il faut poser la question : pourquoi y a-t-il crise en ce moment alors que des démonstrations de différence d’incidence n’apparaissent pas du jour au lendemain et peuvent être identifiées précocement et confirmées dans le temps ?

Un registre des tumeurs adéquatement constitué permet de mesurer en temps réel le plus de caractéristiques possible de chaque cas de cancer, du traitement donné, des résultats conséquents.

Et comme à Rouyn-Noranda, suivre au cours des ans l’évolution des cas de cancer et déterminer si les caractéristiques de la population (tabagisme, âge, race, etc.) ou des caractéristiques environnementales (indice de smog, composants toxiques, émissions de radon, etc.) peuvent être invoquées dans l’incidence augmentée de cancer du poumon et sur la mortalité associée.

Pour la pertinence des traitements

Par ailleurs, depuis près de 20 ans, des anomalies de multiples gènes ont été rapportées pour le cancer du poumon. Malgré cela, et malgré le fait que plus de 20 anomalies permettent de prédire la réponse à divers traitements, le Québec demeure incapable d’offrir un diagnostic raffiné à un grand nombre de patients aux prises avec cette maladie, contrairement à la COVID. De fait, définir si les cancers du poumon retrouvés au Québec présentent des attributs similaires à ce qui est rapporté dans la littérature mondiale s’impose et est primordial pour statuer sur la pertinence des traitements administrés.

Par exemple, les anomalies des gènes EGFR et ALK surviennent surtout chez des femmes plus jeunes, et particulièrement dans les populations sud-asiatiques. Des thérapies existent et ciblent ces anomalies, permettant une meilleure survie. Quelle est la prévalence réelle des anomalies de ces gènes au Québec ? Pas de registre. Pas de cumul des données générées localement par les hôpitaux et les laboratoires de diagnostic moléculaire. Pas d’initiative de la Santé publique ou de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) pour définir si le cancer du poumon dont souffrent les Québécois a des particularités qui devraient nous porter à développer de nouvelles thérapies, à étudier des associations étiologiques (la cause) avec des caractéristiques ancestrales des Québécois ou des facteurs de notre environnement.

Ainsi, au-delà de la controverse actuelle qui secoue la population de Rouyn-Noranda, et alors que le DLuc Boileau visitera ce lieu pour expliquer la conduite de la Santé publique, il y a raison de lui poser quelques questions spécifiques :

— Depuis quand l’incidence du cancer du poumon est-elle majorée à Rouyn-Noranda ?

— Est-ce le seul type de cancer dont l’incidence est supérieure à celle de la province ?

— Est-ce que le profil génomique des cas démontre des variations régionales ?

Si, comme la Colombie-Britannique en 1938, le Québec s’était doté d’un registre des tumeurs et d’un organisme indépendant responsable de superviser et de contrôler les activités épidémiologiques, thérapeutiques et de recherche en cancer, il n’y aurait pas de scoop à discuter du cancer en Abitibi ou ailleurs au Québec.

Ce serait un discours continu, structuré, aboutissant sur une structuration des capacités de prévention, diagnostiques et thérapeutiques. Malheureusement, la crise actuelle prend un pendant éminemment politique sur « qui savait quoi et quand ». Ces questions ne sont pas sans importance, mais elles ne signifient rien demain pour une population qui a droit de profiter d’une autorité en termes de Santé publique et de Direction de la lutte contre le cancer capable de s’extraire de l’immédiat médiatique pour proposer de réelles voies pour encadrer la santé des Québécois.

Bien sûr, les politologues citeront Sénèque : « On doit punir, non pour punir, mais pour prévenir. » Cependant, dans ce monde contaminé par les réseaux sociaux, punir accompagne peu le potentiel de prévenir. À la veille de la période électorale, exigeons de nos politiciens qu’ils sortent de leur nature belliqueuse de l’Assemblée nationale pour prouver que Rouyn-Noranda ne sera pas qu’un épisode politique, que cette ville officiera le début d’une prise de conscience sur la façon de dénombrer les maladies et de les traiter au Québec.

1. Lisez le dossier d’Ariane Lacoursière Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion