Il n’y a pas plus vivant symbole de l’immobilisme québécois que l’étalage des cônes orange. Parfois pour indiquer des travaux, souvent pour détourner d’un risque lié à la dégradation de la route. Et maintes fois, des détours peu coordonnés, menant à tourner en rond, voire se retrouver dans un cul-de-sac.

La dégradation des infrastructures et leur rénovation/reconstruction souvent désordonnée sont preuves de la difficile gestion des ressources au Québec. S’ensuivent des embouteillages, des attentes menant à l’impatience, des rendez-vous manqués, des occasions évanouies.

Le parcours du combattant dans le réseau routier s’apparente parfois à celui des personnes en quête ou en attente de soins dans le réseau de la santé. Il y a des empêchements fréquents, des services fermés par manque de ressources, des tracasseries administratives sans fin, un manque criant de capacité par rapport à la demande.

Avec pour résultante une population prise dans un embouteillage qui ne peut profiter d’un service de santé compétent et suffisant.

La compétence individuelle des professionnels de la santé est appréciable et vérifiable, encadrée par des ordres professionnels, codifiée par des formations standardisées. Par contre, la compétence du réseau, évaluée globalement, à coordonner des soins intra et interétablissements est contestable. À cet égard, le rapport Savoie qui a nommé des manquements en gestion locale et régionale, malgré la formation des CISSS et CIUSSS qui devait favoriser une évolution des soins plus harmonieuse, identifie une déficience rampante, patente et primordiale du réseau de la santé québécois. À tous les niveaux du réseau, des cônes orange sont plantés et entravent la desserte de soins cohérents, planifiés, conformes aux normes.

Saturation des lieux de soin

Par contre, la réduction de l’accès n’est pas que fonctionnelle ou la résultante d’une absence d’une culture de bonne gestion. Il manque de voies de circulation et de destinations d’accueil. Les lieux de soins sont saturés depuis longtemps. La réforme Rochon a visé le virage ambulatoire pour réduire la nécessité de recourir aux hôpitaux, mais sans préalablement ou concomitamment assurer d’autres lieux de prise en charge. Et depuis, malgré l’augmentation de la population, le nombre de lits d’hôpitaux est demeuré stagnant et insuffisant pour des soins évoluant vers la surspécialisation et nécessitant des plateaux techniques.

En cours de pandémie, le gouvernement a réalisé à la dure que l’étirement du système de santé l’empêchait de s’adapter pour absorber la progression de soins aigus en lien avec la COVID-19. Le gouvernement a dû dépenser plusieurs milliards supplémentaires pour assurer temporairement l’intégrité du réseau et par conséquent préserver l’intégrité sociale et économique. Voilà un constat lourd de sens qui doit être porté sans la pression pandémique : la cohésion sociétale, y compris la composante économique, ne peut être préservée que par l’intégrité du réseau de la santé. Les dépenses significatives qui ont été consenties à cela depuis le début de la pandémie nous ont démontré qu’il est possible d’intégrer des dépenses majorées en santé sans compromettre indûment l’équilibre budgétaire de la province.

Les sempiternels cônes orange de la santé ne permettent malheureusement pas de présumer de travaux menant à mieux, contrairement aux détours annonçant des ponts, viaducs, métro et REM.

Les grands projets en santé ne sont pas suffisants pour entrevoir une réelle récupération adaptée à l’évolution des soins et à une population en accroissement et vieillissante. Les lois québécoises définissent un droit aux soins, mais elles n’indiquent pas les modalités pour assurer ceux-ci d’un gouvernement à l’autre. Sans vouloir éveiller une controverse inutile, il faut se questionner à savoir si la restriction de la capacité de soins par manque de ressources n’a pas des effets apparentés à celle qui vient de jugements. L’annulation de Roe c. Wade aux États-Unis est décriée, mais plusieurs organismes ont aussi rapporté au Québec des restrictions de soins qui ont des effets similaires pour certaines personnes.

Nous n’en sommes pas, heureusement, à revoir le panier de soins à cause de jugements de valeur. Nonobstant, il faut créer des mécanismes pour que le réseau de la santé continue à réaliser sa tâche.

« L’homme est soumis à l’obligation de se laisser guider dans toutes ses actions par les considérations morales », nous a dicté Gandhi. C’est un grand et noble objectif. En santé, il doit nous pousser à offrir des soins en qualité et quantité pour offrir la vie en quantité et qualité. Les cônes orange sont inévitables pour réaliser un projet, mais ils doivent s’accompagner d’une planification diligente, publique, d’une communication efficace présentant les options et engageant un discours sur la nécessaire évolution des soins pour assurer la compétence et la quantité des soins.

La Ville de Montréal présentait dernièrement un tableau estival des chantiers et des restrictions à la circulation. Un tel tableau n’existe pas en santé. Le constat des services réduits, des listes d’attente, des délais cumulatifs imposerait de soi un nécessaire débat apolitique sur les investissements qui doivent guider la refondation et la pérennisation de la santé.

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