Cette semaine, La Presse nous apprenait que les grands pollueurs paieront le droit de polluer beaucoup moins cher que les automobilistes : Québec estime qu’ils n’auront qu’à débourser 9 $ par tonne de carbone en moyenne entre 2024 et 20301. Ce problème fut soulevé à merveille par le mémoire rendu public mercredi par les groupes écologistes Greenpeace, Équiterre, Nature Québec et la Fondation David Suzuki. Ils proposent, par ailleurs, un « prix plancher » à 50 $ la tonne.

Ironiquement, Québec vient tout juste de modifier ses droits d’émissions ; avant la modification le prix moyen était de… 4 $. Le contraste n’est que plus frappant lorsque nous savons que la taxe carbone fédérale sera de 170 $ par tonne en 2030.

Ce système à deux vitesses ne fera qu’accentuer les tensions avec le fédéral, ce dernier possédant un mécanisme plus cohérent avec nos cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Fuite de carbone

Québec défend ce bas prix pour cause de « fuite de carbone ». Effectivement, en imposant un fardeau supplémentaire à nos entreprises, les biens que nous produisons ici pourraient « fuiter » vers des pays avec de faibles normes environnementales – généralement plus polluants –, augmentant ainsi les GES totaux rejetés dans l’atmosphère, malgré notre intention de les diminuer.

Or, pour s’assurer que notre prix sur le carbone ne nuit pas à l’économie ou au climat en raison des fuites carbone, le fédéral doit mettre en œuvre des ajustements carbone à la frontière. Cela signifie taxer les importations en provenance de pays qui n’ont pas de système de tarification carbone.

Le concept des clubs climatiques

William Nordhaus, qui a reçu le prix Nobel d’économie pour ses recherches sur l’impact économique des changements climatiques, propose le concept des clubs climatiques. Les pays dont le prix du carbone est raisonnable n’auraient pas à payer de taxes aux frontières – puisqu’ils sont « membres du club » – tandis que ceux qui n’ont pas de prix du carbone se verraient taxés proportionnellement à l’intensivité de leurs réseaux électriques. Ainsi, ceux qui ont de solides programmes climatiques ne paieraient pas le prix économique ou politique de leurs bonnes actions.

Au contraire, ils en tireraient profit, mettant ainsi fin au « dilemme du prisonnier » qui freine l’avènement d’un mouvement climatique mondial.

Les entreprises étrangères – et pas seulement les écologistes – pousseraient leurs gouvernements à appliquer une tarification du carbone – brandissant le bâton de la délocalisation en juridictions membres du club dans la négative. Cela signifie également que les électeurs demanderaient une taxe carbone, car ils verraient une meilleure prospérité dans le fait d’être vert.

Une proposition réaliste

Cette proposition est réaliste. Elle ne nécessite pas de collaboration internationale ; les pays qui possèdent une taxe sur le carbone mettront en œuvre un ajustement aux frontières du carbone pour éviter les fuites carbone. En fait, l’Union européenne commencera à mettre en œuvre ce mécanisme l’année prochaine ; le Canada s’est engagé à collaborer. De plus, même sans taxe carbone, les États-Unis envisagent d’appliquer un ajustement à la frontière afin d’empêcher la délocalisation de leurs industries vers des pays plus intensifs en carbone ; le sénateur américain Sheldon Whitehouse affirme qu’il y a une chance sur deux qu’il soit appliqué dans l’année en cours.

En bref, les clubs climatiques favorisent les pays qui pratiquent la tarification du carbone, incitant ainsi les non-membres à le devenir ou, à tout le moins, à réduire l’intensité carbone des pays non membres.

C’est peut-être le meilleur outil que nous possédons pour réduire les GES mondiaux. Le plus beau, c’est que cette mesure n’endommagerait pas notre économie, c’est bien l’inverse ; elle accompagnerait et faciliterait la transition énergétique des entreprises d’ici. Il n’y aurait plus de compétition déloyale envers les concourants résidants en juridiction laxiste sur le plan de l’environnement.

Cela dit, il existe d’autres outils – complémentaires – pour accélérer la transition énergétique sans causer de fuites carbone. La coalition du budget vert met de l’avant les contrats différenciés ; ces derniers encouragent l’émergence de nouvelles technologies avec des contrats ciblés. Ce mécanisme est moins coûteux que la subvention conventionnelle et n’est pas assujetti aux fuites carbone.

La tarification du carbone est un outil essentiel pour lutter contre la crise climatique. Néanmoins, elle donne lieu à des fuites de carbone. Les clubs climatiques se présentent comme une forme réaliste et efficace d’ajustement carbone à la frontière pour résoudre ce problème.

1. Lisez l’article de Charles Lecavalier : « Marché du carbone : les industries ne paieront que 9 $ la tonne pour polluer » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion