Le rapport Savoie sur la gouvernance du réseau de la santé présenté cette semaine s’ajoute à l’annonce ministérielle récente de la modification du financement des hôpitaux.

Ce dernier favorise indûment, à mon avis, la production plus ou moins ordonnée de soins pour des affections peu compliquées au détriment de la prise en charge de maladies complexes. Le rapport Savoie ne change pas cette perception. Permettez-moi d’expliquer.

Le rapport Savoie rapporte à raison des déficiences de supervision du personnel et des ressources. Soit. Mais cette affirmation s’insère malheureusement dans un contexte de vacuum de réelle gestion des objectifs de la santé. De fait, gérer localement permet d’assurer une certaine cohésion et un sentiment d’appartenance des équipes. Cependant, les mandats hospitaliers demeurent vagues, avisant d’offrir des soins de santé à la population.

Ce flou risque de s’accentuer avec le financement au volume des centres hospitaliers. On perçoit donc un manque d’ambition d’assurer une réelle coordination en vue de répondre globalement aux soins de santé de la population et pas simplement à des impératifs de ressources.

À titre d’exemple, on rapportait cette semaine l’échec du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) à constituer un registre des cas de cancer au Québec depuis plus de 10 ans, alors que plusieurs provinces profitent d’un tel registre depuis plus de 40 ans. Sans données, il persiste une incapacité à définir la quantité et la qualité de soins à prévoir pour les patients cancéreux : pour les détecter précocément, pour les diagnostiquer, pour les traiter. Sans ces chiffres et une réelle direction provinciale, il est impossible pour les hôpitaux de prévoir le nombre de chirurgiens et oncologues, de salles d’opération, de chaises de chimiothérapie, de médicaments généraux et novateurs, de ressources de radiologie et de radiothérapie. Ce n’est pas une décentralisation comme celle proposée, bien au contraire, qui viendra permettre une structuration des soins nécessaires. Le rapport demeure muet sur les grandes orientations que devrait prendre le MSSS ou sur la structure dont il se dotera pour le faire.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Dominique Savoie, sous-ministre à la Santé et aux Services sociaux

Bien sûr, le rapport Savoie propose la formation d’une instance indépendante responsable de la gestion en priorisant que le MSSS s’implique dans des orientations plus générales. Mais cette proposition ne change rien au fait que le problème principal et urgent du réseau de la santé québécois est un problème de volume et de capacité, et pas uniquement de gestion des ressources actuellement disponibles. Ceci est mis en évidence par la majoration des listes d’attentes et des délais d’accès à des soins. Parce qu’il faut reconnaître deux niveaux de gestion en santé. La gestion de programmes de santé devrait être la responsabilité principale du ministre de la Santé et de son ministère.

Par exemple, il est impensable que la Direction québécoise de lutte au cancer soit inapte à démontrer la disponibilité du réseau pour diagnostiquer et traiter les nouveaux cas de cancer, avec des salles d’opération dédiées, des disponibilités de radiologie propres, des capacités de laboratoires spécialisés, et une hiérarchisation de soins pour les cancers plus rares. Ces ressources doivent aussi nécessairement assurer le respect de guides de pratique établis sur des bases médicales et les délais de soins assurant la plus grande probabilité de survie et de bienfait des soins appliqués. Une fois les objectifs établis on peut actualiser les soins par une gestion du réseau, en négociant, littéralement, les obligations de chaque hôpital ou lieu de soins pour offrir au cumul, pour la province, une quantité suffisante de soins. Ce que je mentionne pour le cancer peut s’appliquer à plusieurs pathologies.

Le financement à l’acte des lieux de soins, sans encadrement par des programmes de soins provinciaux, va, selon moi, à l’encontre d’une gestion intégrante des soins de santé au Québec.

La budgétisation devrait tenir compte de critères de soins bien avant le calcul de leurs coûts ponctuels. La recherche de résultats des soins appliqués, en quantité et en qualité, devrait conséquemment diriger les actions gouvernementales et la définition tant des types que des lieux de soins.

Ainsi, même si on peut saluer l’intention du rapport Savoie de redonner une marge de manœuvre locale pour adapter les soins, la crise actuelle de soins confirme surtout l’étirement des ressources québécoises : en nombre de lits, en personnel, en ressources diagnostiques spécialisées et innovantes, en capacité à générer des données populationnelles. C’est la majoration de cette capacité, en profitant d’un encadrement compétent, qui permettrait d’assurer un système de santé adapté et adaptable aux nouvelles circonstances, comme une pandémie.

Ainsi, le rapport Savoie ne présente pas ce qui devrait motiver une révision de la gouvernance. Le Québec demeure en attente, préalablement, d’une politique de santé globale, touchant l’oncologie, la santé mentale, le dépistage, les maladies métaboliques, etc. Les rapports Savoie, Castonguay, Clair et autres sont l’occasion de discours de révolution de la santé, alors qu’on devrait discourir d’ajustements à la marge dans un réseau apprenant et évolutif, exempt d’influence politique quotidienne.

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