Quand on me demande quelles sont mes origines, c’est surtout parce que j’ai « l’air » d’une Italienne, ou plutôt, je ressemble assez fidèlement à l’idée que les gens se font du look italien. Effectivement, mon père est italien et ma mère est acadienne.

On me demande ensuite si je parle l’italien. Et c’est là que je me sens gênée. Oui, je parle l’italien, mais seulement un peu et seulement parce que j’ai pris la peine de l’apprendre à l’université.

Mon père, lui, n’a jamais parlé l’italien parce que ses parents lui ont toujours parlé en anglais. Mes grands-parents, quant à eux, parlaient l’italien, mais seulement avec leurs parents — les premiers dans notre famille à arriver directement de l’ancien pays — qui, eux, parlaient un dialecte du sud de l’Italie.

C’est d’ailleurs mes arrière-grands-parents qui ont encouragé leurs enfants à favoriser l’anglais, la langue acceptée et acceptable de l’époque dans la petite ville forestière de Sault Ste. Marie, en Ontario. Trois générations plus tard, ça prend plus qu’un petit effort pour parler la langue de mes ancêtres.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEURE

Joseph Scarfone, grand-père de l’auteure Olivia Collette, et ses frères et sœurs. Il s’agit de la première génération de la famille Scarfone née au Canada.

C’est pourquoi je suis étrangère en Italie. C’est cool de me retrouver parmi des gens qui partagent mon histoire, mais j’aimerais quasiment pouvoir leur dire que je suis n’importe quoi sauf Italienne. Parce qu’au moment où j’ouvre la bouche, j’ai l’accent d’une Américaine qui ne sait pas rouler ses R ni où mettre l’accent dans certains mots pourtant simples. Je lis bien l’italien et ma compréhension est assez forte, mais quand je parle, j’ai un vocabulaire enfantin parce que je manque de pratique.

Certes, il y a beaucoup d’Italiens à Montréal, mais ils me parlent rarement en italien parce que tout comme ma famille, en arrivant ici, c’était découragé et quelques générations plus tard, c’est l’anglais ou le français qui domine.

Nous sommes nombreux à avoir perdu ce lien avec notre histoire, notre culture, nos familles. Mais le truc, c’est que quand on arrive dans un pays où la langue officielle ne correspond pas à notre langue maternelle, on ne peut simplement pas offrir aux enfants les meilleures chances sans sacrifier la langue patrimoniale.

C’est un choix difficile que chaque famille immigrante connaît intimement et ce choix se fait avant de mettre les pieds sur la nouvelle terre.

Dans la maison où ma grand-mère a grandi, les enfants ne parlaient pas l’anglais avec leurs parents. Mais ma grand-mère et ses frères et sœurs parlaient anglais entre eux, et l’anglais est rapidement devenu la langue dominante de chacun. C’est en anglais qu’ils ont appris à faire des blagues, à communiquer des idées complexes, à évacuer leurs émotions. C’est en anglais qu’ils ont décrypté le monde pour les enfants qu’ils ont élevés à leur tour. C’est en anglais que leurs petits-enfants ont appris l’histoire de leurs origines italiennes.

Ces jours-ci, la CAQ tente de semer la chicane autour du fait que moins de gens parlent français à la maison au Québec.1 Mais la manchette de cette statistique a beaucoup déformé le contexte. Il s’agit en grande partie de foyers où résident de nouveaux arrivants et leurs familles, et où les parents risquent de ne pas pouvoir s’exprimer couramment en français en six mois.

Cependant, ces parents-là vont exiger que leurs enfants soient inscrits dans des écoles francophones et encourageront leurs enfants à utiliser le français autant que possible. Ces enfants serviront peut-être même de traducteurs pour leurs parents, parce que la survie d’une famille immigrante dépend de l’assimilation rapide et efficace des jeunes.

Ces jeunes pourront parler la langue de leurs ancêtres à la maison et le français partout ailleurs, mais ça se peut fort bien que ça ne se transmette pas à la prochaine génération. Ainsi, un seul ménage allophone donnera naissance à deux, peut-être trois ménages francophones.

Remarquez que ce n’est pas la loi 96 qui assurera que les foyers allophones perdent ce lien avec leurs langues maternelles dans une ou deux générations. La réalité des immigrants le fait tout seul depuis des siècles.

1. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1780961/declin-francais-quebec-etudes-oqlf

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion