La présentation par le gouvernement québécois d’une nouvelle mouture du projet de troisième lien routier entre Québec et Lévis amène le Comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois à rappeler deux principes simples.

Nous sommes d’abord d’avis que le gouvernement ne devrait pas aller de l’avant avec le projet de troisième lien à Québec, ou avec tout autre grand projet pour de nouvelles infrastructures où que ce soit au Québec, avant de réaliser des analyses détaillées sur les avantages et coûts de diverses solutions de remplacement. Nous croyons aussi que les échéanciers de réalisation des projets pour de nouvelles infrastructures devraient être étalés dans le temps pour éviter de retarder davantage les travaux de réparation ou de reconstruction des ouvrages existants.

Nous sommes conscients que toutes les régions du Québec ont des besoins importants de remise en état et de modernisation de leurs infrastructures publiques, qu’il s’agisse des routes, des systèmes de transport collectif, des institutions d’enseignement ou des établissements de santé. C’est une des préoccupations qui ont guidé notre comité dans ses avis prébudgétaires des dernières années et nous ne remettons pas en question le besoin d’améliorer les liens entre les deux rives dans la région de Québec.

Analyse solide

Nous sommes toutefois d’avis que les informations rendues publiques à l’appui de la nouvelle version du projet de troisième lien, notamment un simple sondage et un indice de ponts par habitant, ne constituent pas une analyse de besoins solide pour un projet de cette ampleur. Il faut rappeler que le Québec s’est doté d’un cheminement rigoureux pour un projet majeur d’infrastructure publique basé sur deux phases. La phase d’avant-projet comprend notamment une étude des besoins, la détermination des options disponibles et leur évaluation pour mener au choix de la meilleure solution à long terme. Ces étapes mènent par la suite au développement du dossier d’affaires.

Les directives du Conseil du Trésor indiquent en particulier que « la situation actuelle et le besoin qui en découle doivent être soutenus par des données factuelles mesurées et vérifiables ». Il est donc impératif de réaliser pour le projet de troisième lien des analyses détaillées d’options alternatives comme le recours à des voies dynamiques sur le pont Pierre-Laporte, ou la possibilité de faire passer un train de banlieue depuis Charny sur le pont de Québec, pour ne nommer que celles-là.

L’utilisation qui est faite de prévisions des volumes de circulation automobile pour justifier le projet doit aussi être mise en doute. Selon une enquête de 2018, seulement 9 % des déplacements émanant de la Rive-Sud ont comme destination l’arrondissement La Cité-Limoilou. Le gouvernement indique également que 76 % des déplacements se font dans un contexte de travail. Or, la littérature démontre que ce sont ces déplacements qui sont les plus faciles à convertir au transport collectif. De plus, toutes ces données ont été colligées avant la pandémie et ne tiennent pas compte des impacts permanents du télétravail sur les déplacements.

Nous sommes également préoccupés des risques financiers associés à la solution retenue, dont le coût est estimé très préliminairement à environ 6,5 milliards de dollars, en dollars de 2022. Une étude sur la gestion des infrastructures réalisée en 2012 par KPMG évoquait cinq facteurs pouvant entraîner des hausses de coûts : annonce prématurée, définition incomplète des besoins, degré de précision insuffisant des études, échéancier de réalisation accéléré, et absence de contingences et provisions pour risque ou inflation.

Dans sa forme actuelle, le projet « coche » plusieurs cases d’une perte potentielle de contrôle des coûts.

Nous devons de plus répéter nos messages précédents concernant la priorisation de l’entretien des infrastructures existantes. Les données du plan québécois des infrastructures (PQI) montrent une augmentation continuelle du déficit de maintien d’actifs qui est ainsi passé en cinq ans de 17,6 milliards en 2017 à 30,6 milliards en 2022. Ces chiffres démontrent que le gouvernement ne réalise pas, et ce, année après année, un volume de travaux d’entretien et de réparation suffisant pour arrêter la dégradation des infrastructures existantes, le réseau routier arrivant en tête de liste à cet égard.

À cela, il faut ajouter le contexte actuel de pénuries de main-d’œuvre et de résurgence de l’inflation qui rend encore plus essentiel de bien évaluer les limites à la capacité de l’industrie de la construction. Le gouvernement québécois n’a pas démontré comment plusieurs grands projets pour de nouvelles infrastructures, le troisième lien à Québec, la nouvelle mouture du REM de l’Est à Montréal et tous autres projets de cette ampleur, pourront être intégrés au PQI à l’horizon de 2030 sans devoir réduire le rythme déjà insuffisant des travaux d’entretien et ainsi accélérer la détérioration des infrastructures existantes.

Le besoin d’analyses détaillées de solutions alternatives pour les grands projets et la priorisation de l’entretien des infrastructures existantes transcendent les échéances électorales. Ce sont des prérequis à la performance de l’économie du Québec et à la santé de ses finances publiques dans les prochaines décennies.

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