C’est un beau matin de mai à la ferme : les oiseaux chantent, les grenouilles coassent dans l’étang et les jeunes semis verdoient au champ. Assis sur ma véranda, j’ouvre mon ordinateur et je lis un courriel que je viens de recevoir : Ira et Dima Morkva sont un jeune couple de maraîchers de la région de Kyiv, en Ukraine. Le début de leur saison agricole a été interrompu par l’approche de la guerre. Ils ont dû fuir avec leurs deux enfants pour se réfugier dans une autre région du pays.

Après plusieurs semaines de combat, le danger immédiat étant passé, ils sont revenus à leur ferme pour faire face à ce qu’un maraîcher pourrait voir comme une saison gâchée : des semis en pépinière morts, des mauvaises herbes qui ont repris le dessus dans les tunnels et les champs, une planification culturale à refaire.

Mais ils ont repris le motoculteur, épandu du compost et recommencé de nouveaux semis. Non seulement ils sont déterminés à nourrir leur communauté, mais ils veulent aussi en soutenir d’autres autour d’eux pour les aider à produire leurs propres légumes. Ils me demandent s’ils peuvent utiliser un de mes cours en ligne comme matériel pédagogique pour leur projet.

Une agriculture de résilience

Quand ma conjointe, Maude-Hélène, et moi avons démarré notre ferme Les Jardins de la Grelinette il y a bientôt 20 ans, plusieurs nous trouvaient fous de penser que nous pouvions réellement gagner notre vie en produisant des légumes biologiques sur un seul hectare.

Non seulement nous avons démontré que c’était possible, mais nous avons aussi été témoins de l'émergence d’un mouvement de gens qui partagent nos valeurs : changer le monde par le simple fait de nourrir sa communauté avec des aliments produits en harmonie avec la nature, une petite ferme à la fois. 

Ayant tous deux étudié en environnement à l’Université McGill, nous étions aussi éveillés à la fragilité inhérente d’un système alimentaire mondialisé, orienté sur la monoculture et orchestré par l’utilisation de fertilisants et de pesticides de synthèse plutôt que l’intelligence de la nature. 

Quand j’ai écrit mon livre Le jardinier-maraîcher, publié il y a 10 ans, je voulais transmettre à d’autres nos méthodes et techniques pour qu’ils puissent, eux aussi, réussir leur projet de microferme maraîchère. Ce livre m’a fait voyager aux quatre coins du monde et m’a amené à la rencontre de gens qui, comme Ira et Dima de Kyiv, se dévouent à nourrir les gens autour d’eux avec des aliments sains. Des gens qui, comme nous, voient l’agriculture à échelle humaine comme une manière immédiate d’avoir un impact positif dans le monde. Et maintenant, j’accompagne des maraîchers de 87 pays qui participent à mes formations en ligne, et je continue d’être ébahi par l’aspect global de ce mouvement qui donne espoir pour un monde meilleur.

À quand les remises en question ?

Il m’a toujours tenu à cœur de présenter des solutions, d’enseigner le comment et de donner des outils plutôt que de dénoncer ce qui ne va pas. Mais après plus de 100 jours d’une guerre abominable, au-delà de l’horreur humaine, nous voyons arriver le spectre de la famine et de la montée fulgurante des prix des aliments de base, ici et ailleurs.

Nous devons nous rendre à l’évidence : le système alimentaire actuel n’est pas soutenable.

Maintenant se pose une question : qu’attendons-nous pour orienter nos sociétés vers une agriculture plus résiliente face aux perturbations géopolitiques et aux changements climatiques ? Pourquoi continuons-nous de proposer les systèmes agricoles basés sur les marchés mondialisés de commodités comme voie unique pour se nourrir ? Pourquoi continuer de subventionner des modèles qui détruisent la fertilité des sols, les écosystèmes et mettent notre santé en danger ? Et pourquoi tant d’obstacles pour ceux qui veulent pratiquer une agriculture de bienveillance ancrée dans la nature et la communauté ?

C’est notre responsabilité collective de nous poser ces questions et de trouver des réponses concrètes pour assurer la suite du monde. Pendant ce temps, Ira et Dima continueront de planter betteraves, carottes et laitues qui nourriront les quartiers de Kyiv cette année, et, espérons-le, pour plusieurs années à venir.

Consultez le compte Instagram pour en connaître davantage sur l’initiative de Morkva Farm Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion