Quand on est Autochtone et qu’on est appelé à s’exprimer publiquement sur l’actualité, le plus souvent, on piaffe contre les injustices de l’histoire, les gouvernements, les industries, un politicien ou un chroniqueur qui ne sait pas de quoi il parle.

Faire un texte qui met en cause l’un d’entre nous, un individu ou une nation, c’est quelque chose que l’on essaie d’éviter. Les raisons sont simples. D’abord, nous ne voulons pas ajouter une couche sur les strates de préjugés que nous savons toujours présentes. Puis, ce que l’on veut, en tout cas moi, c’est faire connaître les réalités et le pourquoi de ces réalités, ce qui se cache derrière l’histoire. Et finalement, il faut bien le dire, notre monde est très petit. Parfois, plus que ça encore. Peut-être même trop pour vraiment dire ce que l’on pense sans risquer des représailles.

Les Premières Nations et les Inuit sont un peu plus de 180 000 au Québec, selon Statistique Canada. Ils représentent environ 2,3 % de la population. Bien que chaque nation ait ses défis et ses particularités, il est vrai de dire que plusieurs batailles sont communes, à différents niveaux. Prenez la langue, par exemple. Sur onze langues autochtones possibles au Québec, deux sont pratiquement éteintes, une est en voie d’être revitalisée après plus d’une décennie d’effort, trois sont en bonne condition et le reste se maintient tant bien que mal.

Et la culture ? Même chose. On a pu garder certains éléments ici, d’autres là. Des chants, des cérémonies, des danses, de l’artisanat, un peu de chasse et de pêche. Certaines techniques ancestrales ont disparu chez une nation, mais sont toujours vivantes dans une autre. Il ne reste par exemple à ma connaissance que deux personnes qui savent encore battre le frêne pour en faire des lanières chez les Mi’gmaq, mais quelques personnes qui savent toujours tresser les paniers chez les Abénakis.

Une lutte de tous les instants

Nous devons constamment nous battre pour garder ce qui reste. C’est un effort de tous les jours. Nous nous battons contre la modernité, les injustices de l’histoire qui ont laissé des traces au sein de nos identités et de nos cultures, des gouvernements qui créent des lois qui se veulent un frein à notre survie culturelle, des industries qui empiètent ou détruisent nos territoires, des préjugés qui ont la couenne dure. Vous comprenez pourquoi c’est sur ça qu’on écrit?

Je prenais le frêne en exemple. J’aurais pu en prendre tant d’autres. Les canots d’écorce. La graisse d’ours. Des recettes qu’on ne sait plus tout à fait faire parce que nous n’avons plus telle ou telle sorte de maïs. Des plantes qu’on ne sait plus comment utiliser pour guérir ceci ou cela. Chaque fois que l’on perd une technique ou un élément culturel, même juste un mot, c’est un peu de qui nous sommes comme Autochtones que nous perdons. Et quand on y réfléchit bien, tout ce qu’on perd vient de là : du territoire.

Du territoire, nous n’en avons plus, ou presque plus : merci au colonialisme. Nous ne l’avons pourtant jamais cédé (sauf dans le cas de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois). Ce qui nous reste, on y tient donc comme à la prunelle de nos yeux parce que c’est à travers lui que l’on se définit comme Premiers Peuples.

Quand deux nations autochtones se chicanent pour un même territoire – comme c’est présentement le cas entre les Innus de Mashteuiatsh et les Wendat de Wendake pour un territoire situé entre les deux communautés – ça me trouble. La raison est simple : nous n’avons pas le luxe de nous disputer pour ça, surtout pour ça. Le territoire, c’est là que nous nous exprimons comme Autochtones. Notre vision du monde vient de là, nos valeurs, nos cultures, nos langues aussi. C’est un grand canot dans lequel nous nous retrouvons tous.

À travers les époques, les territoires ont été visités, navigués, traversés, habités par l’un ou par l’autre. Des Innus vivent à Wendake, des Wendat vivent chez les Innus. Du territoire, il nous en reste tellement peu. S’il faut en plus commencer à s’entre-déchirer pour y planter notre drapeau, alors il me semble que c’est signe que l’on manque de recul, qu’on a un pied en dehors du canot.

Une histoire de partages

Ici, je ne prendrai pas position au jeu du bon et du méchant. Le dossier est trop complexe et on ne m’alloue pas assez de mots dans ce texte. Ma position se veut que dans l’histoire, les Premiers Peuples ont toujours eu besoin les uns des autres. L’histoire autochtone est remplie de ce genre de partages, de troc entre les nations.

Par exemple, avant le contact avec les Européens, les Wendat, plutôt tournés vers l’horticulture pour se nourrir, produisait des surplus de farine de maïs qu’ils pouvaient échanger avec les Anishinabe au Nord, contre des fourrures. L’un servait à se nourrir pendant l’hiver, l’autre à s’habiller et se réchauffer. La vie n’aurait pu exister autrement, sans l’aide des uns et des autres. Créer des alliances économiques et diplomatiques avec certaines nations nous ont permis de subsister pendant des millénaires. Nous avons encore besoin de ces alliances pour survivre, culturellement cette fois. Tous ensemble.

Avec tout ce que nous perdons à vitesse grand V, nous n’avons plus le luxe de se coltailler pour un bout de territoire. L’important est de vivre le territoire pour que nos savoirs et notre savoir-faire, nos cultures et nos langues soient transmises, partagées et conservées, qu’elles demeurent vivantes. Il est minuit moins une depuis trop longtemps.

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