Dans les deux dernières décennies, nous avons vu naître au Québec une importante politisation de la question identitaire. Plus récemment, la Coalition avenir Québec (CAQ) a quant à elle besogné avec acharnement à politiser la question des niveaux d’immigration. « En prendre moins, mais en prendre soin », comme le veut la formule consacrée. Cela n’est pas un mal en soi. Mais la manière avec laquelle on s’y prend est problématique et contre-productive.

Du PLQ à la CAQ

En comparaison avec le passé récent, les niveaux annuels d’immigration au Québec ont connu une baisse au début du présent mandat de la CAQ (52 000 en 2018 à 40 000 personnes immigrantes en 2019). Mais en 2022, le gouvernement caquiste vise à recevoir jusqu’à 52 500 personnes immigrantes1. Il s’agit là de seuils équivalents à ceux qui ont marqué les années de règne libéral.

La rupture se situe alors dans la manière de parler publiquement de l’enjeu de l’immigration.

Certes, la CAQ a augmenté les ressources allouées au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), afin de mieux intégrer les nouveaux arrivants et pour qu’ils performent mieux sur le marché du travail. La CAQ a ainsi agi pour « en prendre soin ». Cependant, sur le volet « en prendre moins », elle a pris une posture d’apparat : annoncer de nombreuses actions, mais accoucher de demi-mesures.

Car ce qu’on observe, c’est une croissance exponentielle de l’immigration temporaire, pour les besoins du marché. À cet égard, rappelons que les travailleurs étrangers temporaires représentent une catégorie plus vulnérable que l’immigration permanente. Ne pas parler français, ignorer l’étendue de leurs droits, être juridiquement lié à un seul employeur : voilà quelques exemples des défis qui leur sont propres.

De la louisianisation du Québec

Lorsque le premier ministre parle de la potentielle « louisianisation » du Québec, il attise les peurs et la méfiance. En liant l’avenir de la nation à la condition que le Québec obtienne davantage de pouvoirs en immigration, tout en alimentant le spectre d’une folklorisation du français dans la province, son discours peut donner l’impression que l’immigration, et, par extension, les personnes immigrantes, sont les causes directes du recul de notre langue.

Cette stratégie discursive est contre-productive et problématique.

Le serpent mord alors sa queue : on veut limiter l’immigration permanente, en disant que la capacité d’accueil et d’intégration est limitée, tout en tenant des discours publics qui rendent la société plus réticente et méfiante à accepter des seuils d’immigration plus élevés. Ce faisant, Legault plaît ainsi à sa base partisane.

Mais ce qu’il donne d’une main — en baissant légèrement l’immigration permanente en début de mandat —, il le reprend de l’autre — en permettant et en encourageant une hausse massive de l’immigration temporaire —, tout en écorchant au passage la perception publique de l’immigration.

Québec c. Canada

Par son discours, le gouvernement Legault suggère qu’en refusant de céder des pouvoirs accrus en immigration — plus précisément la catégorie du regroupement familial —, le gouvernement fédéral nuit non seulement à la capacité du Québec d’assurer son avenir en français, mais lui impose aussi des choix migratoires nuisibles.

Cette lecture manque de nuances.

Premièrement, le Québec contrôle environ 65 % de son immigration permanente, pour laquelle il peut demander la connaissance préalable du français. Il délivre aussi des certificats d’acceptation pour une partie importante de son immigration temporaire. Aucune autre province ne jouit de ce niveau de contrôle.

Deuxièmement, le Québec ne fait pas que subir passivement les décisions d’Ottawa : il est consulté dans la détermination des niveaux d’immigration qu’il entend recevoir. Si le Canada accueille davantage d’immigrants, le Québec ne doit pas ipso facto en recevoir plus qu’il ne le souhaite. À ce titre, l’argument avancé notamment par Robert Laplante2, voulant que le Canada aspire délibérément à noyer le Québec francophone sous un océan d’immigrants, est réducteur et alarmiste.

Troisièmement, la catégorie du regroupement familial concerne un peu plus de 20 % de l’immigration permanente du Québec. Même si le Québec se voyait accorder la pleine responsabilité en ce domaine, il y aurait des limites à exiger la connaissance préalable du français à des conjoints, enfants à charge, parents, grands-parents, qui attendent de retrouver les membres de leur famille. L’intégration réussie des personnes immigrantes et leur établissement durable au Québec dépendent aussi de la possibilité de réunir leur famille.

Ainsi, même s’il en disposait de manière autonome, les critères de sélection du Québec ne divergeraient pas tant que cela de la politique d’Ottawa.

Le problème n’est donc pas que le Québec souhaite être pleinement responsable en la matière. Après tout, il s’agit d’un paramètre institutionnel clé pour assurer notre capacité à « faire société », selon les termes que l’on veut bien se donner collectivement et démocratiquement.

Seulement, la fin ne devrait pas en justifier les moyens.

1. Consultez le plan d’immigration du Québec 2022 2. Lisez le texte de Robert Laplante « Une autre rebuffade, la millième » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion