Demander des pouvoirs supplémentaires en immigration est une initiative noble et salvatrice, mais il y a une façon plus douce et moins culpabilisante pour les immigrants de le faire que les dernières déclarations de François Legault sur le sujet. Je ne sais pas si la « louisianisation » dont parle le premier ministre est une possibilité, mais je crois qu’instrumentaliser encore l’immigration à l’approche des élections n’est pas une bonne idée.

L’anglicisation du Québec

Caracolant loin devant dans les sondages, François Legault a-t-il vraiment besoin de surfer dans ses eaux ? Avant son élection, je suis souvent monté aux barricades dans les médias pour le défendre contre les salves de Philippe Couillard, qui cherchait à le positionner comme un raciste. Aujourd’hui, j’éprouve un certain malaise devant ses déclarations qui laissent parfois entendre qu’il est juste là pour défendre les francophones dits « de souche ». Je sais que ce n’est pas le sens qu’il veut donner à ses slogans nationalistes rythmés par des « nos valeurs », mais c’est avec un sentiment d’exclusion que beaucoup de gens issus de l’immigration reçoivent ses paroles. Pourtant, défendre la langue en essayant de faire des immigrants des alliés identitaires potentiels serait bien plus constructif. Je vais revenir à cette idée à la fin. Avant, je voudrais parler de la difficulté qui attend les troupes de Legault dans le dossier de l’anglicisation du Québec, qui est bien réelle.

Oui, le gouvernement Legault fait indéniablement du bon travail depuis son arrivée au pouvoir, mais sa vision sur le dossier linguistique ne pourra pas à long terme protéger le Québec de l’anglicisation. On a beau qualifier son programme de nationaliste et parler de fierté et de défense des intérêts du Québec, la vérité est que sans l’arme nucléaire que représentait la menace indépendantiste, la lente chute sera inévitable et ce ne sont pas des lois comme la 96 ou les autres, qui viendront au deuxième ou même éventuellement au troisième mandat de la CAQ, qui empêcheront l’anglicisation du Québec de se poursuivre. En cause, toute disposition sérieuse pour protéger la langue française sera contestée violemment par une certaine anglophonie, qui rêve d’aplanir le Québec et d’en faire une province canadienne comme les autres. Historiquement, la loi 22 et la 101, qui allait l’abroger sous les péquistes de René Lévesque, ont provoqué une hystérie et un puissant soulèvement de ceux qui pensent que le Québec est une nation bilingue. Des troubles sociaux encore bien vivants dans la mémoire des décideurs politiques qui n’osent plus jouer dans un tel scénario.

Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, la simple anticipation d’une grogne populaire et d’une enflure médiatique comparable porte le gouvernement à arrondir les coins et à aménager des trous dans le barrage de castor censé protéger le Québec de l’assimilation. Or, dans un tel barrage, une petite brèche peut à long terme envoyer la maison qu’il voulait protéger dans le torrent.

Aujourd’hui encore, tout le monde s’entend pour dire qu’il faut protéger le français. Mais, lorsqu’on essaye de faire un pas dans ce sens, des anglophones se braquent et mobilisent temps, argent et médias pour combattre et refuser de fournir leur part d’efforts. « Nous n’avons pas besoin d’apprendre votre langue parce que de toute façon, vous êtes obligés d’apprendre la nôtre. » Tel est le slogan d’une bonne partie de ces gens-là. Ce suprémacisme linguistique est au cœur du problème. C’est lui qui fait marcher une bonne partie des gens qui vomissent sur la loi 96. Certains poussent même la note jusqu’à positionner ironiquement des anglophones d’ici comme une minorité vulnérable et martyrisée par les méchants nationalistes de la CAQ.

Permettez-moi de rappeler encore que les anglophones de Montréal composent, en moyenne, la minorité « vulnérable » la plus chanceuse sur la planète. Ils ont parmi les meilleures écoles, les meilleures universités, les meilleurs hôpitaux, le meilleur pouvoir économique. En plus, ils forment un échantillon minoritaire à deux heures de voiture de leur grande majorité linguistique d’appartenance qui domine la planète depuis la révolution industrielle. À part le Québec, connaissez-vous une seule nation sur la Terre où une bonne partie des immigrants qui arrivent cherchent à s’intégrer à la minorité locale pour faciliter leur intégration économique ? Est-ce qu’un immigrant originaire du Pakistan préférerait s’intégrer à la communauté chinoise de Toronto pour améliorer ses chances de succès social au Canada ? Si cette situation se produisait, les anglophones seraient les premiers à vouloir prendre des mesures pour protéger leur langue et leur culture.

La CAQ osera-t-elle faire le nécessaire ?

Entre la flamme indépendantiste que propose le PQ et les cendres froides des libéraux, les caquistes ont choisi de garder des braises qui réchauffent sans les craintes de l’embrasement. Voilà la situation qui mélange réalisme et utopisme dans laquelle on se trouve aujourd’hui. C’était ça ou un abonnement des libéraux au pouvoir avec un seul programme : « Ils vont organiser un référendum ! » Cela dit, quelle solution de rechange restera-t-il à François Legault si les tribunaux tailladent ses lois censées défendre et protéger les particularités de la nation québécoise ? Que fera-t-il quand le gouvernement fédéral lui répondra encore qu’il n’est pas question de donner au Québec une miette de pouvoirs supplémentaires en matière d’immigration ? Menacer de quitter le Canada n’étant plus une option, il lui restera à ravaler sa frustration et se canadianiser tranquillement, comme le demandent toutes ces assemblées hors Québec qui votent des motions et mobilisent des ressources financières pour mettre le gouvernement du Québec au pas. Tôt ou tard, la Coalition avenir Québec frappera son Waterloo, car entre les racines françaises et britanniques du Canada, le clivage est ostensible et les positions, impossibles à réconcilier, surtout sur le terrain du vivre-ensemble. Je me permets même de parier ici qu’avant la fin de son règne, M. Legault finira par se remémorer pourquoi il a déjà été indépendantiste.

Sans un énorme coup de barre beaucoup plus robuste que la loi 96 que son gouvernement n’osera jamais donner, le plan d’anglicisation silencieuse du Québec mis en place par Pierre Elliott Trudeau continuera de progresser lentement, mais sûrement. Avec sa loi sur le multiculturalisme, PET voulait aussi ultimement ramener les francophones du Québec au statut de communauté comme les autres ; une communauté qui n’a rien de plus à réclamer que celle des Italiens, des Chinois ou des Ukrainiens du Canada. Il voulait faire du Québec une communauté qui arrêterait de parler de peuples fondateurs, de bilinguisme, d’indépendance et de toutes les autres affirmations égalitaristes ou autonomistes qui ont toujours irrité l’élite médiatique, intellectuelle et politique du ROC.

En érigeant le multiculturalisme en religion, Pierre Elliott Trudeau cherchait ultimement à transformer ce loup québécois qui réclamait robustement son territoire en un gentil caniche, qui continue de japper, mais donne la patte et fait le beau quand on le lui demande.

Son plan suit son chemin, car dans un avenir lointain, ou pas, le Québec francophone finira inévitablement par devenir peut-être pas la Louisiane, mais une communauté minoritaire sur son territoire.

Lorsque ce triste et irréversible point de bascule sera franchi, je vous parie ici que le gouvernement fédéral prendra alors le relais des nationalistes et des indépendantistes et commencera à parler avec cœur de l’importance de protéger cette culture francophone, jadis très riche et créative, mais aujourd’hui agonisante. Ce sera le début de la phase de folklorisation des cultures minoritaires, comme on sait très bien le faire dans le multiculturalisme britannique qui a inspiré celui du Canada. Ici, on adore les communautés dans toutes leurs particularités, à condition qu’elles restent minoritaires et bien campées sous le plafond de verre qui leur est imposé par cette majorité qui a toujours dominé le monde.

Disons qu’une fois les francophones devenues minoritaires, on assistera à la métamorphose de notre vieux bolide de compétition en une voiture de collection. Une voiture qu’on astique, admire, expose et folklorise de temps en temps dans des expositions, avant de la ranger au garage jusqu’au festival suivant.

Se faire des Alliés linguistiques et identitaires

Puisque le courage politique nécessaire pour renverser la tendance est impensable, même pour un gouvernement qui se dit nationaliste, quelle solution nous reste-t-il ? Il nous reste à recruter le plus d’alliés possible pour ralentir la vitesse du rouleau compresseur de l’assimilation qui avance lentement, mais sûrement. Pour ce faire, à la place de son douteux discours sur l’immigration, François Legault devrait opter pour des investissements massifs dans les programmes d’accueil, d’intégration et de francisation. Je sais qu’un certain effort a été fait par le gouvernement ces dernières années, mais on peut faire mieux. Cette géniale initiative qui consiste à attirer les étudiants étrangers à l’extérieur de Montréal en baissant leurs frais de scolarité en est la preuve. À mon avis, celui qui a pensé à cette idée mérite une couronne de laurier.

À la place d’encore montrer de ce doigt accusateur l’immigration, pourquoi ne pas travailler à additionner et à jouer à l’aiguille qui rapièce plutôt qu’au couteau qui tranche le tissu social ?

Tendre la main à ceux qui arrivent et tenter du mieux qu’on le peut de faire d’eux des alliés linguistiques et identitaires est plus constructif que les positionner encore au centre de tous les problèmes existentiels du Québec. M. Legault aime bien parler d’intégration, mais il faut lui rappeler que le premier ingrédient dans un processus d’intégration, c’est l’envie de le faire. Or, ce désir de se réenraciner arrive surtout par la tendresse et la parole qui rassemble, plus que par la langue qui divise ou stigmatise.

Puisque se passer de l’immigration n’est pas une option, surtout pour un gouvernement qui se targue d’être celui de l’économie, mieux vaut travailler à se faire des alliés qu’à les pousser de l’autre côté avec des déclarations qui lient louisianisation du Québec et immigration. Adopter un discours qui ferait sentir le nouvel arrivant plus comme une solution potentielle que la source principale du problème serait bien plus constructif lorsque vient le temps de parler de ces enjeux, si préoccupants soient-ils.

La nature selon Boucar est de retour à Ici Première tous les samedis à 11 h.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion