Le documentaire Bataille pour l’âme du Québec, dont Yves Boisvert⁠1 a déjà parlé en ces pages, risque de faire grand bruit. L’une des thèses principales du documentaire de Francine Pelletier est que le nationalisme québécois actuel, qui serait conservateur, est en porte-à-faux avec le nationalisme « d’ouverture » de la Révolution tranquille. Cette thèse est tout simplement fausse et mérite quelques commentaires.

Un peu d’histoire. Le Parti québécois de 1976 avait quelque chose de conservateur. En effet, le gouvernement de René Lévesque s’engageait dans une logique de continuité historique. Certes, le pays était à faire pour briser et dépasser le statut de colonisé, mais ce n’était pas dans le but qu’émerge un Québécois déraciné de son histoire.

Prenons le cas de la loi 101. Par cette loi pensée par Camille Laurin, on reconnaissait les droits collectifs de la majorité historique francophone.

À l’époque, on accusait cette loi de faire dans l’ethnocentrisme, mais rien n’est plus faux.

En fait, cette loi favorisait la mixité sociale et culturelle et l’intégration des immigrants. Ceux-ci étaient appelés à converger culturellement vers un socle commun, c’est-à-dire une mémoire et une histoire que l’on pourrait qualifier de « conservatrices », parce que produites par les siècles. Bien sûr, ce socle n’est pas cristallisé, il se modifie naturellement au fil des décennies notamment grâce à l’apport des minorités.

Le nationalisme d’aujourd’hui, qu’on qualifie de conservateur, n’est donc pas en rupture avec celui d’hier. Et l’amalgame qu’on tente de faire dans le documentaire, soit celui que le conservatisme est nécessairement synonyme d’exclusion et de fermeture, est fabriqué de toute pièce dans le cadre québécois.

Laïcité

L’autre grand sujet abordé dans le documentaire est évidemment la relation entre la religion et l’État. Il faut d’abord dire que la laïcité n’est pas arrivée en 2006-2007 avec la crise des accommodements raisonnables. On oublie son histoire longue avec la déconfessionnalisation du Québec dans les années 1960 et les Patriotes qui parlaient déjà de la séparation de l’Église et de l’État. À nouveau, le nationalisme qui reprend le sujet de la laïcité à partir de 2006 est en continuité avec son passé.

Sur le thème de la laïcité, la majorité des intervenants du documentaire s’accordent sur le fait que la Charte des valeurs du Parti québécois en 2013 allait trop loin et on dit à demi-mot que le rapport Bouchard-Taylor aurait dû être appliqué.

Rappelons que la différence principale entre le rapport Bouchard-Taylor et la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21) est l’interdiction du port de signes religieux chez les enseignants. Bien sûr, on peut être en désaccord avec cette loi, mais elle demeure modérée et représente un juste milieu entre Bouchard-Taylor et la Charte du Parti québécois. La Coalition avenir Québec a même retiré le crucifix du Salon bleu pour montrer que le principe de laïcité s’appliquait à tous. Bref, on est loin d’un nationalisme tyrannique qui serait intransigeant avec la diversité comme on essaie de le présenter dans le documentaire.

Prophétie autoréalisatrice

En fait, qu’il s’agisse des questions de langue ou de laïcité, on accuse toujours les nationalistes de diviser et d’exclure. On peut reconnaître qu’un tel sentiment existe chez certains concitoyens.

Toutefois, on peut se demander s’il n’y a pas quelque chose qui relève de la prophétie autoréalisatrice dans toutes ces accusations. C’est qu’à force de répéter le mensonge voulant que le nationalisme exclue les minorités, il est certain qu’on n’encourage pas ces mêmes personnes à s’ouvrir à l’option nationale et on crée ainsi davantage de divisions. Le discours qui cherche à dénoncer l’exclusion participe donc aussi à ce qu’il dénonce en caricaturant des lois qui sont, en réalité, plutôt modérées.

Finalement, que proposent les critiques du nationalisme ? Qu’on jette aux oubliettes les lois sur la laïcité et la langue dans le but « d’inclure » davantage les minorités et d’être plus « ouvert » ? C’est oublier que l’absence de mesure divise autant, et même probablement plus, que les mesures actuelles qui représentent en dernière instance un certain consensus où tout le monde est appelé à mettre de l’eau dans son vin.

1. Lisez la chronique d’Yves Boisvert, « La dérive conservatrice du nationalisme québécois » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion