Cette lettre fait suite au dossier de Katia Gagnon sur l’histoire tragique d’une enfant de la DPJ, publié les 28 et 29 mai. L’auteure de la lettre, exceptionnellement anonyme pour préserver l’anonymat de l’enfant, s’adresse au premier ministre François Legault.

Monsieur le Premier Ministre, je suis la mère adoptive de la jeune fille mentionnée par Katia Gagnon dans ses articles publiés dans La Presse des 28 et 29 mai derniers 1,2.

Lorsqu’on m’a confié ma fille, je ne m’attendais pas à devoir revendiquer sans fin ses droits fondamentaux, et ce n’est pas terminé.

Je vous écris car on a refusé d’entendre mon témoignage à la commission Laurent, à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse et à la Société de criminologie du Québec. Aucune instance où faire valoir les droits de ma fille !

Effet papillon

L’intervention bâclée de première ligne de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) a mené à un paradigme catastrophique pour ma fille. Cette mauvaise prise en charge initiale a biaisé tous les systèmes auxquels nous avons été confrontés. Les évènements se sont enchaînés, des distorsions cognitives se sont installées, des actions incongrues ont été faites en se multipliant. On nous a accusées à tort et rendues responsables de leurs erreurs et mauvaises décisions. Il s’en est suivi une descente aux enfers.

Constats

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) doit en finir avec le biais d’autocomplaisance et être conséquent avec l’intérêt de l’enfant en assumant ses responsabilités.

Toutes les personnes mandatées par la DPJ, donc en position d’autorité, œuvrant auprès des enfants détiennent l’immunité de bonne foi et l’impunité. C’est inacceptable. Elles doivent être tenues responsables de leurs actes.

On porte aux nues la DPJ. Pourquoi cette confiance aveugle au point de lui donner carte blanche ? Il est illusoire de croire qu’en lui donnant des superpouvoirs avec impunité, cela protège nos enfants car la DPJ n’est pas composée d’êtres célestes. N’avons-nous pas appris de nos erreurs du passé avec le clergé ?

Un système défaillant

L’intérêt de l’enfant doit avoir préséance sur les valeurs organisationnelles de la DPJ et du MSSS ; on ne doit pas se limiter à une vision sectorielle (DPJ), mais avoir une vision globale regroupant plusieurs ministères vu la complexité d’application de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Une concertation s’impose !

Parmi les failles systémiques causant des préjudices à ma fille :

— Abandon, négligence, abus sexuels, abus physiques. Ces quatre articles de la LPJ appliqués par la DPJ font aussi partie du Code criminel. Or, cette concordance donne ouverture à l’interprétation subjective de la DPJ qui n’a pas l’expertise judiciaire, ni en enquête, ni en actes criminels, ni en gestion de preuve, ni en scène de crime. La DPJ, s’arrogeant un pouvoir discrétionnaire et de déjudiciarisation d’actes criminels commis sur ma fille, n’a pas enclenché d’entente multisectorielle, la privant ainsi des soins requis. Effet papillon...

— Absence de centre de crise en maladie mentale infantile. Le système de santé comble cette lacune en signalant automatiquement la DPJ en vue du placement de l’enfant en centre de réadaptation. Or, les enfants ne reçoivent pas les soins requis, ce qui contrevient à la Convention de l’Organisation des Nations unies sur les droits des enfants.

— Énorme clivage entre les recherches/études et le MSSS. Le domaine de la pédopsychiatrie vit à l’ère des dinosaures. Les handicaps neurologiques invisibles ne sont pas reconnus ni diagnostiqués. Ma fille de 15 ans, trop vieille pour la clinique neuro-développementale, est trop jeune pour l’Institut de neurologie de Montréal. Que faire ?

— Absence de service post-adoption pour les enfants de la DPJ... Pourquoi ? Alors que les enfants adoptés à l’international en bénéficient...

— Absence de code de déontologie. Il est impératif, dans l’intérêt des enfants, que la DPJ, en tant qu’experte3 dans l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse, soit soumise à un cadre législatif régissant ses règles, ses devoirs et sanctions en cas d’agissements inacceptables.

— Absence d’un Bureau d’enquête indépendante pour la DPJ. Il est impératif, dans l’intérêt de l’enfant, de créer une telle entité pour mener des enquêtes en toute impartialité et transparence dans les cas de bavures.

— Tribunal jeunesse. Dans le cas de ma fille, la DPJ a priorisé ses propres intérêts plutôt que ceux de ma fille. Le procureur de la DPJ, n’étant pas un substitut du Procureur général, a le même intérêt que la main qui le nourrit. J’ai dû dépenser d’exorbitants honoraires d’avocat pour nous défendre contre des procédures abusives. Pourquoi ? Le besoin est criant pour l’implantation au Tribunal de la jeunesse d’un agent de liaison indépendant et impartial, ayant une expertise en enquête, relevant du ministère de la Justice afin de colliger les faits et la preuve pour en informer le juge saisi du dossier.

— Confidentialité ? Est-ce dans l’intérêt de ma fille que des pans complets de sa vie soient soumis à une omerta ?

— Destruction des dossiers de la DPJ après cinq ans. Pourquoi faire disparaître à tout jamais des documents confidentiels relatant une partie importante de la vie de ma fille ?

— Prise en otage par le Centre de services scolaire... à cause d’un code postal. Quelle école spécialisée va répondre aux besoins de ma fille ? Que dois-je faire ?

M. Legault, que feriez-vous à ma place, avec une fille de 15 ans, intelligente, n’ayant qu’une quatrième année primaire non terminée, non scolarisée depuis deux ans ? Une enfant ayant reçu huit diagnostics reliés à la maltraitance grave qu’elle a subie... et l’étiquette trouble du comportement ? Y aurait-il moyen de changer son paradigme ? Je me bats à contre-courant dans les dédales du système. Selon vous, y aurait-il moyen de retrouver ma confiance en l’État, d’avoir la tranquillité d’esprit avec ma fille et de lui assurer l’avenir qu’elle mérite ?

1. Lisez le jour 1 du dossier de Katia Gagnon 2. Lisez le jour 2 du dossier de Katia Gagnon 3. Lisez la lettre ouverte des directeurs de la protection de la jeunesse et directeurs provinciaux du Québec : « Une famille pour la vie ! » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion