Tout le monde s’entend sur l’importance d’une première ligne médicale forte. Or, le financement actuel des cabinets et de la partie médicale des CLSC ne représente que 3 % du budget de la santé. Les investissements consentis à la deuxième et à la troisième ligne de services médicaux resteront inefficaces tant que la première ligne, la base de la pyramide, ne sera pas solidifiée.

Cependant, les choix budgétaires n’expliquent pas tout. On ne peut comprendre la difficulté d’accéder aux services d’un médecin de famille au Québec sans faire l’historique de toutes les erreurs de gestion des gouvernements, tous partis confondus, depuis 30 ans :

  • diminution du nombre de médecins en cabinet et obligation de travail hospitalier pour les 10 premières années de pratique ou activités médicales particulières (Parti libéral du Québec, 1992) ;
  • engorgement chronique des urgences à la suite de la diminution excessive de la capacité hospitalière (réforme Rochon, Parti québécois, 1995) ;
  • mises à la retraite de milliers d’infirmières et de médecins (Parti québécois 1996-2000) ;
  • diminution du nombre de médecins en cabinet et activités médicales particulières étendues aux 20 premières années de pratique (Parti québécois, François Legault, 2002) ;
  • exode des jeunes médecins de famille hors-Québec et vers le privé (plans régionaux d’effectifs médicaux, Parti libéral du Québec, 2003) ;
  • quasi-nationalisation des cabinets médicaux avec infirmières prêtées par les hôpitaux (groupes de médecine familiale, Parti libéral du Québec, 2005) ;
  • centralisation excessive de la gestion du réseau et départ des infirmières d’hôpital vers les agences privées ou à la retraite (loi 10, Parti libéral du Québec, 2015) ;
  • harcèlement politique et dévalorisation des médecins de famille ayant provoqué des centaines de retraites prématurées (loi 20, Parti libéral du Québec, 2015) ;
  • rapatriement des infirmières des GMF pour compenser les problèmes de gestion de personnel dans les hôpitaux (Coalition avenir Québec, 2020-2022) ;
  • maintien et amplification de toutes ces erreurs de gestion (loi 11, Coalition avenir Québec, 2021-2022).

Avec pour conséquence que le Québec a vu 467 postes post-doctoraux en médecine familiale non comblés depuis 2013, auxquels on doit rajouter 400 médecins de famille qui ont quitté pour le privé, et le nombre croissant de médecins qui ont fui le cabinet pour l’hôpital, la médecine du travail ou un poste de médecin-conseil (fédéral, Hydro-Québec, etc.).

Sans oublier tous ceux qui sont partis hors Québec car, sans surprise sauf pour peut-être pour les hauts fonctionnaires du ministère de la Santé, aucune autre province n’a suivi le Québec dans ces dérives bureaucratiques.

Voilà pourquoi il y a maintenant un million de personnes qui cherchent un médecin de famille, et ce, malgré le nombre record de citoyens inscrits par médecin de famille.

La levée de toutes les contraintes bureaucratiques qui étouffent la médecine familiale est urgente, mais il faudra faire davantage pour qu’elle redevienne une carrière prisée de la relève.

La prise en charge d’un patient implique un suivi longitudinal par son médecin. C’est l’essence de la plus-value bien étudiée de la médecine familiale, mais aussi la source de la lourdeur du travail pour un médecin qui n’est pas adéquatement entouré.

Vieillissement de la population oblige, l’époque du médecin de famille qui s’occupe de tout est révolue. D’autres intervenants sont mieux placés pour remplir les formulaires administratifs, intégrer au dossier les investigations prescrites par les autres spécialistes, maintenir le résumé de dossier à jour, prendre les signes vitaux et les mesures corporelles, gérer la prévention et les examens de dépistage, et traiter plusieurs affections mineures (IVRS, mycose des ongles, constipation et autres conditions fonctionnelles, insomnie, conflits de travail, etc.) au sein de l’équipe servant le patient dans le cabinet médical.

Pour renverser durablement la désaffection de la pratique en cabinet, on doit recentrer l’action du médecin de famille sur le diagnostic et le traitement des maladies. Cela ne pourra se réaliser qu’en encourageant la constitution d’équipes stables de professionnels à l’emploi des cabinets de médecine familiale, à l’instar des cabinets de radiologie et des pharmacies. Le modèle GMF a clairement démontré ses limites.

Les politiciens appuieront-ils le nécessaire réinvestissement dans les cabinets de médecin de famille ou s’enfermeront-ils dans une logique d’affrontement stérile qui dessert le réseau public ?

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