L’étude des microbes de notre tube digestif est devenue l’une des disciplines les plus en vogue et les découvertes sur leur rôle dans notre santé physique et mentale sont très abondantes. Même notre propension à être malheureux ou heureux aurait un certain lien avec ces partenaires microbiens qui vivent dans nos entrailles.

Tous ceux qui ont déjà consulté pour un mal de vivre ont entendu parler de la sérotonine. Ce neuromodulateur que beaucoup de pilules contre la dépression essayent de rééquilibrer dans notre cerveau a un lien étroit avec nos vagues à l’âme et notre résistance au stress. Aujourd’hui, on sait que 80 à 90 % de la sérotonine provient de cellules intestinales et des microbes qui habitent nos boyaux. On a même trouvé dans les intestins des bactéries qui produisent la sérotonine et d’autres capables de fabriquer du tryptophane, qui est l’ingrédient principal utilisé pour la synthèse de cette molécule du bonheur.

Auteur de L’intestin au secours du cerveau, le docteur David Perlmutter raconte qu’aujourd’hui, 90 % de nos maladies ont un certain lien avec ce qui se passe dans notre microbiote.

Comme quoi Hippocrate avait raison de professer déjà au Vsiècle avant notre ère que l’intestin était le lieu de naissance de toutes les maladies.

Le zoologiste russe Elie Metchnikoff sera le premier à soupçonner, au milieu du XIXsiècle, un lien entre la longévité humaine et les bactéries qui vivent dans notre tube digestif. Ce dernier, qui travaillait sur le mécanisme de défense mis en œuvre par le système immunitaire contre les bactéries, sera aussi le précurseur de ce qui deviendra aujourd’hui le gigantesque champ d’études sur le microbiote intestinal. S’inscrivant dans la vision d’Hippocrate, Metchnikoff racontait que la mort commence dans le colon. Une déclaration un peu pessimiste, car le microbiote intestinal est bien plus porteur de vie que de mort.

Pour se reproduire, il faut rencontrer un ou une partenaire, le séduire, faire l’amour, espérer une fécondation d’un ovule par un spermatozoïde, une implantation, une grossesse et un accouchement et la survie du bébé. À toutes les étapes de cette grande aventure pour la perpétuation des gènes, les microbes ne sont jamais loin. Les découvertes sur le microbiote sont si nombreuses et impressionnantes que, longtemps après Darwin, je suis de ceux qui commencent à penser ironiquement que l’humain est peut-être un animal tenu en laisse par une colonie bactérienne.

Disons que notre collaboration évolutive avec les bactéries qui habitent notre corps est à 99 % pour le meilleur. Mais dans de rares cas, le mutualisme peut laisser la place à une relation toxique et il faut se défendre.

Une des preuves ostensibles du lien entre le microbiote et la santé a été faite en 1980 par des chercheurs australiens, Barry Marshall et Robin Warren, qui travaillaient sur une bactérie nommée Helicobacter pylori. Une découverte qui allait mener à une véritable révolution dans la façon de soigner les ulcères d’estomac. Cette bactérie qui se prélasse dans l’estomac humain depuis au moins 50 000 ans est présente chez une personne sur deux sur la planète. C’est donc ce qu’on peut appeler un colocataire de longue date de Sapiens, que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs hébergeaient déjà dans leur tube digestif. Même si elle est en paix avec la grande majorité des personnes qui l’abritent, dans certains cas et certaines conditions, elle peut se transformer en microbe pathogène et déstabiliser notre tube digestif.

Les deux chercheurs ont alors découvert que la grande majorité des ulcères d’estomac est engendrée par cette bactérie qui ne craint pas l’acidité et dont les sécrétions fragilisent la couche de protection de la muqueuse. Cette fragile surface mise à découvert laisse alors le champ libre à l’acidité de l’estomac et bienvenue les brûlures, parfois même les saignements. Avant que les deux scientifiques ne montrent d’un doigt accusateur Helicobacter pylori, on soupçonnait les ulcères d’être causés par le stress, l’abus d’alcool ou de café, la nourriture épicée, le piment, etc. Les traitements de la maladie étaient alors très invasifs. En cause, il fallait parfois envoyer des sondes dans le tube digestif pour y évaluer l’ampleur des dégâts.

La découverte de Barry Marshall et de Robin Warren a permis depuis de soigner les ulcères par une simple combinaison d’antibiotiques. Pour prouver aux sceptiques qui ne croyaient pas à sa trouvaille, Barry Marshall avait poussé la provocation jusqu’à avaler une culture d’Helicobacter pylori. L’excentrique chercheur a évidemment eu un ulcère d’estomac et l’a soigné avec une simple prise d’antibiotiques. Cette découverte majeure sur le rôle moins noble de certaines bactéries du microbiote a valu aux deux scientifiques le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2005 et permis de simplifier grandement le traitement contre cette affection.

Lien entre bactéries et cancer de la prostate ?

S’inscrivant peut-être dans la ligne de Barry Marshall et de Robin Warren, une équipe de chercheurs britanniques de la University of East Anglia, sous la direction de Colin Cooper, a récemment fait beaucoup parler d’elle. En utilisant des méthodes génétiques de pointe, ces scientifiques ont découvert des bactéries qui pourraient avoir un lien avec le cancer agressif de la prostate. Sur un échantillon de 600 personnes comprenant des hommes atteints de ce cancer et un groupe contrôle, ces chercheurs ont découvert cinq espèces bactériennes suspectes, dont trois étaient jusque-là inconnues des scientifiques. Ils ont ensuite constaté que les hommes qui abritaient une ou plusieurs de ces espèces de bactéries dans leur urine, leur prostate ou leurs tissus tumoraux avaient 2,6 fois plus de risques de voir leur cancer évoluer vers une forme plus avancée.

Une corrélation qui laisse croire qu’il y aurait un lien entre le cancer de la prostate et la présence de ces microbes. L’enjeu est de taille, mais il reste beaucoup de chemin à faire.

En cas d’implication réelle de ces microbes dans le déclenchement ou l’aggravation de la maladie, dit l’auteur principal, il resterait une autre barre à franchir avant d’adapter cette nouvelle découverte aux thérapies. Non seulement faire entrer des antibiotiques dans la prostate n’est pas chose facile, mais il faudra aussi choisir des molécules qui ciblent spécifiquement les bactéries indésirables.

Même s’il est très tôt, disent les auteurs, pour affirmer que la présence de ces bactéries provoque ou aggrave le cancer de la prostate, la découverte publiée dans European Urology Oncology est suffisamment prometteuse pour faire la manchette scientifique et médiatique internationale. Si le lien de causalité se confirme, comme dans le cas des ulcères d’estomac, il pourrait éventuellement mener à une révolution dans la façon de diagnostiquer et de soigner cette maladie qui fait beaucoup de victimes sur la planète.

À suivre…

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