Le déclin de la lecture nuit à notre capacité de donner un sens au monde et de gouverner nos sociétés.

L’avènement des technologies numériques a profondément modifié nos façons de vivre et d’interagir avec autrui. Cela a démocratisé l’usage de la langue écrite et l’accès à un nombre considérable de ressources culturelles et linguistiques.

Mais cela a aussi réduit notre capacité de concentration, notamment celle de lire de manière continue et soutenue.

Le déclin de la littératie profonde

Le torrent d’informations et de stimuli auxquels nous exposent nos appareils intelligents a tendance à diminuer notre capacité de saisir des enjeux complexes, de poser des questions fondamentales et de développer notre créativité.

Nous sommes en quelque sorte pris dans un flux où il n’y a ni passé ni futur, mais seulement l’instant présent. Instant présent où un nombre infini de choses sollicitent notre attention sans que nous soyons capables d’accorder assez d’attention à l’une d’elles.

Pour la professeure américaine Maryanne Wolf, nous assistons aujourd’hui au déclin de la « littératie profonde1 » (deep literacy), à savoir la capacité de lire un texte dense et de donner un sens aux idées et aux concepts qui s’y trouvent.

Au Québec, par exemple, une personne sur deux éprouve des difficultés à lire un texte long et à donner un sens aux informations qui s’y trouvent2. De plus, environ 53 % des Québécois éprouvent des difficultés considérables à lire et à écrire3.

La littératie profonde n’est pas naturelle. Nous ne naissons pas avec une telle capacité. Nous en faisons plutôt l’acquisition pendant l’enfance et l’adolescence. Et, pour la conserver, nous devons lire tout au long de notre vie.

Il s’agit d’une création culturelle de l’homme. Elle est d’ailleurs étroitement liée à un aspect crucial de notre culture : l’individualisme. C’est grâce à elle que nous développons une vie intérieure et une conscience personnelle.

C’est notamment grâce à cet exercice solitaire qu’est la lecture que nous acquérons les idées, les croyances et les valeurs qui nous sont propres et qui nous distinguent des autres individus.

Littératie profonde et démocratie

C’est également grâce à la littératie profonde que nous apprenons le sens des idées abstraites sur lesquelles repose la société, comme l’État de droit, la liberté et la démocratie.

Or, une société où l’on ne comprend plus très bien le sens de ces idées risque d’être moins stable. Certains risquent d’être moins enclins à respecter l’autorité des institutions politiques qui reposent sur ces idées.

D’autres risquent d’exiger des solutions simples à des problèmes complexes en soutenant des chefs autoritaires ou populistes qui s’engagent à tout régler d’un coup de baguette magique.

Plus il sera difficile de donner un sens au monde et aux évènements, plus on tentera de donner un sens au monde et aux évènements, même si ce sens est incohérent, voire absurde.

D’ailleurs, une société où la lecture profonde ne cesse de diminuer pourrait être tentée d’adopter un mode de gouvernance moins abstrait qui serait incarné par une personnalité autoritaire.

Ce mode de gouvernance serait sans doute hostile au libéralisme, surtout à l’idée de liberté individuelle, et à la démocratie, surtout à l’idée que les individus choisissent librement ceux qui les gouvernent et la façon dont ils sont gouvernés.

Une telle société n’est ni désirable ni souhaitable.

La littératie profonde ne devrait pas être un luxe que seule une élite peut acquérir. Chacun devrait bénéficier de chances égales de développer une telle capacité, et ce, quel que soit son statut social, économique, culturel, etc.

Il en va non seulement de notre capacité de donner un sens au monde, mais de la stabilité de nos institutions démocratiques.

1. CONSULTEZ le site de Maryanne Wolf (en anglais) 2. CONSULTEZ la section sur la littératie du site de la Fondation pour l’alphabétisation 3. CONSULTEZ la section des enquêtes et des statistiques du site de la Fondation pour l’alphabétisation Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion