Je n’ai pas beaucoup connu Guy Lafleur, le joueur de hockey. Mes souvenirs de sa suprématie sur les patinoires sont diffus et ce n’est pas seulement parce que je ne l’ai vu jouer qu’en noir et blanc sur une petite télé à l’image instable. J’étais simplement un peu trop jeune pour apprécier ses exploits à leur juste valeur.

Je suis plutôt de l’ère Saku Koivu, avec tout ce que cela implique en matière d’espoirs déçus et de patriotisme refoulé. Ce que je connais de ses exploits sportifs se résume donc à quelques montages de faits saillants et à sa fiche sur le site de statistiques Hockey DB. C’est fou comme la simple consultation de ces chiffres peut faire rêver le partisan post-moderne du Canadien.

Malgré tout, j’ai toujours su que Lafleur était plus grand que nature. Jeune, mon oncle avait deux héros vers qui il orienterait inévitablement une conversation : Elvis et Guy Lafleur (non, je ne suis pas le neveu de Réjean Tremblay).

Même si je ne l’avais pas vu à l’œuvre alors qu’il était au sommet de son art, je savais ce qu’il représentait. Il était sur un pied d’égalité avec un pionnier du rock-and-roll, ce n’était pas rien.

Dans sa biographie du Démon blond, c’est plutôt au personnage principal de George Orwell dans 1984 que Georges Hébert-Germain compare Lafleur. À une certaine époque, notre héros avait dû mettre de côté ses élans émancipateurs pour se plier aux directives des Big Brother du hockey. Je n’ai pas connu ce Guy Lafleur résigné. De même, à la radio en 2010, le légendaire Pierre Trudel me confirmait qu’à ses débuts, Guy Lafleur était un jeune homme de peu de mots : « Gêné comme ça, ce n’était pas possible, il était monosyllabique. » Il ajoutait toutefois que Lafleur avait changé au fil du temps : « Quand la langue s’est déliée, il n’a pas arrêté de parler et il parle encore aujourd’hui. » Il y a ceci avec les gens plus réservés : lorsqu’ils finissent par se prononcer, on a tendance à les écouter. C’est plutôt ce Guy Lafleur que j’ai connu. Un homme qui était très bon « sans la rondelle » lorsque venait le temps de faire les manchettes avec un coup de gueule.

Les médias sportifs forment une sorte de monde parallèle où les travers de la société sont amplifiés. Entre deux publicités de casinos en ligne, on nous présente les exploits de nos héros entrecoupés d’entrevues où prévaut une langue de bois qui n’a rien à envier à celle de Justin Trudeau. Comme le dirait peut-être Jean Perron, les commentateurs essaient de ménager la main qui les nourrit de pain et de jeux et on prend très au sérieux des évènements qui ne le sont pas du tout. Une transaction entre deux joueurs de cinquième trio, une blessure à l’ischio-jambier antérieur droit (si ça existe) ou une passe avec la main passée inaperçue. Ce n’est pas un reproche. J’adore ce monde parallèle, même s’il impose parfois des limites.

Des limites dont Guy Lafleur se souciait peu au moment de décocher une pointe. Il accordait ses entrevues « avec pas » de casque, au risque de devoir se casser la tête parce qu’il aura déplu à l’ordre établi.

Je collectionne les citations drolatiques de sportifs depuis plusieurs années et en relisant celles de Guy Lafleur, j’ai compris que je ne les avais pas nécessairement notées parce qu’elles étaient comiques autant que parce qu’elles surprenaient dans cet écosystème où, du moins à une époque pas si lointaine, critiquer pouvait nuire à votre accès aux hot-dogs gratuits d’une quelconque loge.

Il m’est aussi apparu que ces déclarations tranchées étaient la plupart du temps ponctuées de quelques sacres. Que ce soit lorsqu’il a prescrit au « superactif » P. K. Subban du Ritalin ainsi qu’un petit coup de bâton derrière la tête « ’sti », ou lorsqu’il avait comparé la LNH a une ligue de garage « ’sti » pendant le lockout en 2005, Lafleur présentait la situation comme il la voyait, dans la langue vernaculaire.

On s’inquiète avec raison de la montée du populisme, mais c’est surtout parce que les politiciens populistes font semblant d’être près du peuple. Guy Lafleur, lui, l’était authentiquement.

Il n’adaptait son langage ni pour les médias ni pour plaire à un certain public et faisait écho à l’exaspération des partisans parce que, comme eux, il avait cette équipe à cœur. Tout simplement.

J’ai une petite tendance à juger les gens qui rendent hommage aux défunts sur les réseaux sociaux en témoignant des souvenirs qu’ils inspirent, mais ici, l’abondance de ces hommages, tout autant que leur diversité, force au respect. Guy Lafleur était une sorte de lubrifiant social qui pouvait unir mon oncle qui adore Elvis et mon père qui adore Jethro Tull (tous les goûts sont dans la nature). Nous vivons à une époque où qui se ressemble s’assemble dans des bulles un peu trop hermétiques. On ne peut qu’être nostalgiques d’avoir tous pu s’assembler autour de ce genre de héros. Je m’excuse d’avance de conclure avec un jeu de mots, mais pour recoudre la flanelle sociale, nous avons besoin de faire pousser d’autres Guy Lafleur.

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