Dans le nouveau catéchisme identitaire, la notion de « personne racisée » est la plus alambiquée puisque les races n’existent pas (nous en sommes). La personne dite racisée n’est donc « noire », « arabe » ou « chinoise » que dans l’esprit projetant sur elle (ayant perçu un phénotype réel ou fantasmé) des stéréotypes raciaux. Cela fonctionne comme Google Autocomplete : ainsi, pour le cerveau planétaire, les Québécois sont « froids » et pourtant « vraiment sympas » (et aussi « de retour à Cuba », la seule chose objectivement vérifiable).

Le corollaire est que les personnes racisées projettent aussi leurs propres stéréotypes sur les « Blancs » (qui n’existent pas davantage) et entre elles. Or la prémisse – recyclant la lecture manichéenne marxiste-léniniste des gentils prolétaires et des méchants koulaks – dicte que c’est l’homme blanc qui est en position dominante systémique. Ce sont donc les images d’Épinal qui vagabondent dans son esprit à lui qui sont seules d’intérêt public.

Mon père, un Pied-Noir, est né en Algérie, dans ce qui était le département français d’Oran. Il est arrivé au Canada après la guerre.

Or, dans l’esprit des personnes du pays, il est resté « algérien » toute sa vie, donc forcément arabe, forcément musulman. Personne ne voulait comprendre que des chrétiens, des Juifs, des Kabyles, des Berbères, des immigrants italiens, allemands, espagnols… et des Français catholiques peuplaient l’Afrique du Nord. Nous avons donc vécu « racisés » même si nous n’étions pas davantage musulmans qu’hindous.

Il y a de l’ignorance là-dedans, mais l’ostracisme est réel : il est enterré au Lac-Saint-Jean, mais sa tombe est à l’écart, au fond sur la clôture. Le curé a dû lire Sidi-Bel-Abbès sur les papiers, et se sera méfié. Pas de sarrasin dans mon cimetière.

On nous « traitait » aussi de Juifs, puisque nous étions commerçants et même prospères. C’est un peu pareil, tous ces métèques, vu du bénitier. Enfant, les Juifs pour moi, c’était Martin Gray ; j’étais confus. Puis, j’ai compris que l’on projetait sur nous le stéréotype de l’usurier. J’étais le « p’tit juif » pour les mères de mes amis canadiens-français ; mais ça restait affectueux, comme dans les romans de Mordecai Richler.

J’ai le singulier parcours d’avoir été racisé sur la base de clichés islamophobes et antisémites sans même être arabe ou juif, ce qui ne manque pas de sel.

Ça suit toute la vie : témoin l’infirmière de la salle d’accouchement qui nous a lancé, à la mère – son nom vaut 56 points au Scrabble – et moi, un très senti « oh, deux belles ethnies, bienvenue au Québec ! ». Textuellement. C’était loufoque.

J’ai moins ri quand l’obstétricienne, prenant à témoin le premier souffle de mon fils, nous a déclaré, d’un ton pénétré : « Lui, il sera un vrai Québécois. »

J’espère que cette Aryenne d’opérette ne crache pas son fiel aux parents de chaque gamin qui naît avec un patronyme louche. Dans son esprit pourtant éduqué, j’étais racisé big time. Sans l’être du tout de mon point de vue.

J’ai grandi comme francophone hors Québec. La section française de l’école prenait l’eau (littéralement). Nous n’avions pas le droit de faire partie de l’orchestre. C’était très officiellement réservé aux Anglais. Pour les sports, c’était officieux, mais avec le même résultat. C’était à l’époque où même Mario Lemieux était coupé de l’équipe nationale junior. On craignait parfois pour notre sécurité physique ; il y a eu des évènements violents. Non seulement étions-nous racisés, mais j’oserais dire « systémiquement ».

Quand j’en ai marre de ne pas être assez québécois pour les uns et trop pour les autres, je pars en voyage. Où, évidemment, je suis aussi racisé que Uncle Tom dès que je prononce une syllabe. « Ah ! mais vous êtes canadien ! »

« Si vous le dites ! »

Ceci n’est pas un réquisitoire victimaire. Je raconte tout cela sur le ton de la conversation. Mais statistiquement, je suis un homme blanc francophone et catholique de 50 ans. Je serais même cisgenre, un mot que je n’ai appris que récemment, qui désigne une réalité somme toute banale. Mais j’ai le profil du tout premier qui serait écarté – dékoulakisé, en réalité – d’un concours qui viserait l’inclusion, au profit d’une personne… racisée ? Ça, c’est vraiment fort de café. Je suis pourtant bel et bien une personne racisée blanche d’Amérique !

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