« Pendant le cours de science, je me bouche les oreilles et je dors ! », me confie-t-elle. Elle dépose ses coudes sur la table et se recroqueville sur elle-même, ses mains sur sa tête. Je remarque ses ongles rongés par l’anxiété.

J’essaye de dédramatiser la chose : « Tu veux devenir astronaute, n’est-ce pas ? Alors le cours de science, c’est important pour toi. »

Elle relève la tête : « Je sais… même si je me bouche les oreilles, j’arrive quand même à écouter le cours. Nous faire répéter tout le temps que la planète risque de disparaître dans 50 ans, c’est très angoissant pour nous ! Ça sert à quoi de faire des plans… de rêver ? Ce n’est pas facile pour notre génération. On carbure à “l’écoanxiété” ! »

Le mal d’une génération

Elle me balance ce mot comme s’il avait toujours fait partie de son vocabulaire. Elle nomme bien son mal comme celui de sa génération. Entre amis, ils en parlent beaucoup, me dit-elle. Ils ne comprennent pas que les adultes ne les prennent pas plus au sérieux !

Ma nièce, 15 ans, vient luncher avec moi parfois ; son école est à côté de ma maison et on parle de tout et de rien.

Cette angoisse des jeunes, je la connais très bien. Mes enfants m’y ont préparée depuis longtemps : « Maman, on sait que tu aimes les bébés, mais ne t’attends pas à devenir grand-mère un jour ! Tu vas te contenter de nos chats et de nos chiens… ce n’est pas sur cette planète qu’on va faire des enfants ! »

Je ne vous parle même pas des autres angoisses que je remarque chez les jeunes autour de moi, parfois des enfants de 11 ans qui suivent la guerre en Ukraine sur TikTok. Ces corps d’enfants, de femmes et de vieillards qui jonchent les trottoirs… ils savent que ce n’est pas des jeux vidéo !

Cette écoanxiété, ou l’angoisse chronique spécifique au réchauffement climatique, n’est pas une simple impression de maman.

Une étude mondiale publiée dans The Lancet Planetary Health révèle que trois jeunes sur quatre, de 16 à 25 ans, ont peur de l’avenir. Le sondage effectué dans 10 pays et auprès de 10 000 adolescents révèle que 75 % d’entre eux ont peur de l’avenir.

Beaucoup de parents ne réalisent pas combien la vie de nos jeunes, qu’on croit gâtés et pourris, vivent dans la détresse, l’angoisse et une perte de sens de notre monde. Les politiciens enveniment la situation en ne s’attaquant pas sérieusement aux dangers du réchauffement climatique et en encourageant la consommation à outrance et l’endettement qui nous propulse sur le mur fracassant du capitalisme qui dénude nos vies de tout sens !

Avoir 15 ans et ne pas pouvoir rêver

Moi, à l’âge de 15 ans, j’étais enfermée entre quatre murs dans mon village en Algérie, c’était la condition des femmes de mon époque. Dès qu’une jeune fille commençait à ressembler à une femme, on nous enfermait pour nous préserver des regards des hommes.

Notre avenir était décidé d’avance pour devenir des épouses et vivre dans l’ombre des hommes. Née féministe et éprise de liberté, je vomissais le côté patriarcal de ma culture. Je vivais une révolte intérieure perpétuelle. De la petite cour de notre maison, je n’avais accès qu’à un bout de ciel. J’avais développé une obsession pour le ciel : il m’arrivait souvent d’embarquer sur ses nuages avec mon imagination débordante pour défier ce patriarcat qui nous enfermait.

J’arrivais à rêver et à me projeter dans un monde où je pouvais prendre la parole, devenir journaliste et faire des films.

À 15 ans, je croyais qu’être enfermée dans la prison de ma jeunesse sans avoir commis de crime était la pire chose qui puisse arriver à un être humain. Aujourd’hui, je me rends compte qu’il y a encore pire : avoir 15 ans dans un monde de liberté et d’opulence et ne pas pouvoir rêver pour se projeter dans l’avenir !

En nommant un écologiste comme ministre de l’Environnement, le gouvernement canadien nous a donné espoir d’un véritable virage écologique. Mais tout juste après avoir présenté un plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre prometteur, voilà que le ministre « écolo » Steven Guilbeault annonce l’hyperpolluant mégaprojet pétrolier Bay du Nord de la multinationale norvégienne Equinor pour forer 60 puits et exploiter au moins 300 millions de barils de pétrole au large des côtes de Terre-Neuve, dans une zone reconnue par l’Organisation des Nations unies pour son importance écologique…

Devant tant de mauvaise foi, il est tout à fait normal que plus de jeunes sombrent dans l’écoanxiété et que fleurissent des millions de Greta Thunberg pour se réapproprier leur monde !

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