Les yeux qui piquent, les maux de gorge, les éternuements, la congestion et bien des symptômes encore : il faut dire que le temps des pollens est bien dur pour beaucoup de personnes.

Ces allergies respiratoires sont un véritable problème de santé publique. Plus déstabilisant encore, en ces temps de pandémie, leurs symptômes peuvent se confondre partiellement avec ceux de la COVID-19. Comment convaincre le voisin qui se tasse ou essaye de doubler son masque que c’est le pollen qui nous malmène bien plus que le virus ?

Aux prises avec cette affection, mais aussi avec les allergies à toutes sortes d’autres choses qui pourrissent la vie des enfants, beaucoup de parents désemparés essayent de trouver de l’aide dans le système hospitalier. Malheureusement, la route pour rencontrer l’allergologue et détecter l’allergène responsable du problème n’est pas toujours de tout repos. La demande pour ce type de traitement a explosé ces dernières années. En fait, ça fait quelques décennies qu’on parle des tracas immunitaires causés par les allergènes qui, il faut le rappeler, affectent beaucoup plus les pays industrialisés.

Ceux qui ont vu neiger savent aussi qu’on se préoccupait beaucoup moins de ces problèmes immunitaires dans les temps anciens.

Que s’est-il passé pour que des gens dont les ancêtres ont évolué pendant 99 % de leur existence dans les boisés, les forêts et les savanes affichaient autant d’allergies au pollen ? Qu’est-ce qui s’est passé pour que le pollen nous malmène malgré le fait que nos ancêtres Sapiens ont cohabité continuellement avec les plantes pendant près de 300 000 ans ?

La biophilie est un concept inventé en 1984 par le biologiste américain Edward O. Wilson. De quoi ça cause ? L’humain ne peut pas avoir évolué pendant plus de 99 % de son existence dans la nature comme chasseur-cueilleur et s’en couper de façon draconienne sans conséquences néfastes sur sa santé physique et mentale. Ainsi, raconte cette sagesse. Est-ce que cette coupure drastique avec la nature serait l’élément explicatif principal ? Il faut peut-être sortir Darwin de sa tombe pour lui demander son avis sur le sujet.

Il existe une hypothèse dite hygiéniste dans le milieu médical qui lie notre propreté extrême, la diminution de la taille des familles et le manque de contacts avec les microbes du sol et des animaux à l’augmentation de la prévalence des maladies allergiques, auto-immunes et inflammatoires. C’est à un médecin et épidémiologiste britannique nommé David Strachan qu’on doit cette hypothèse née à la fin des années 1980. Ce docteur a constaté un jour que les cadets de famille souffraient beaucoup moins souvent de rhumes des foins, d’asthme et autres manifestations d’allergie. Il liera alors ce phénomène à la santé qualitative du système immunitaire. Tous les parents peuvent deviner l’origine présumée de ce décalage. Les premiers enfants qui arrivent dans une famille sont souvent surprotégés, car les parents projettent sur eux leur propre frousse des microbes. Alors, ils aseptisent tout autour de ce précieux bébé et vivent dans le stress permanent de le voir tomber malade. Quand le bébé fait un peu de température, on court à l’urgence. Une simple grippe suffit à semer la panique dans la famille. Quand le bambin échappe sa suce, on la nettoie et désinfecte minutieusement avant de la remettre dans sa bouche. Mais avec le deuxième, le troisième et le reste de la fratrie, toutes ces craintes s’atténuent et on laisse les enfants avaler les microbes et renforcer leur système immunitaire.

Ce qui était la norme dans les temps anciens, dirait ma mère. Aujourd’hui, quand un enfant avale une pièce de monnaie, disait-elle ironiquement, on appelle l’ambulance et go pour l’hosto ! Anciennement, la maman lui donnait un laxatif pour récupérer plus rapidement la monnaie dont elle avait grandement besoin ! Selon la « théorie hygiéniste » de David Strachan, grandir et évoluer dans un monde sans microbes peut provoquer des troubles immunitaires. Il faut donc, disent de plus en plus de spécialistes, permettre aux enfants d’entrer raisonnablement en contact avec les microbes de la terre, des végétaux et des animaux domestiques. C’est la meilleure façon d’entraîner leur système immunitaire à combattre. À défaut de leur offrir de véritables adversaires, les soldats immunitaires passent leur temps à jouer aux cartes dans les casernes. Sans expérience de combat, ils peuvent se mettre à tirer sur des particules d’arachide, de poussière, de pollen et autres, avec les conséquences qu’on connaît tous. En résumé, cette hypothèse nous rappelle que laisser entrer des étrangers dans notre diversité corporelle microbienne est une façon de s’offrir une santé de fer.

Mais, la théorie hygiéniste ne fait pas l’unanimité. Aujourd’hui encore, certains spécialistes n’adhèrent pas à la vision de Strachan, qui culpabilise involontairement les parents dont les enfants souffrent d’allergies. Au-delà de l’hygiène, pensent d’autres chercheurs, les prédispositions génétiques, le mode de vie moderne beaucoup plus sédentaire, la pollution et même le stress peuvent expliquer une partie de l’observation du problème.

Mais revenons au rhume des foins qui toucherait près de 15 % de la population mondiale, surtout dans les pays industrialisés. Il a fallu beaucoup de temps pour que la science élucide les causes de cette affection.

Pendant des siècles, on a accusé le froid, la chaleur, le tempérament nerveux et hyperactif, la poussière, le soleil, l’humidité, l’ozone et même la race et la classe sociale d’être des facteurs qui causent le rhume des foins ou y prédisposent.

Bien avant Strachan, en 1829, c’est au médecin britannique John Bostock (1773-1846) qu’on doit les balbutiements de ce qui deviendra l’« hypothèse hygiéniste ». En s’intéressant au rhume des foins, ce médecin a constaté que cette affection touchait beaucoup moins les pauvres et les fermiers britanniques, qui évoluaient pourtant dans des environnements plus susceptibles de les rendre malades. Il conclura que le rhume des foins n’affectait que les personnes de rang élevé ou très élevé. Évidemment, une maladie qui ne touchait que les classes supérieures ne pouvait être que noble. Du moins, c’est ainsi que l’élite politique britannique, obsédée par la race et les classes sociales, interpréta la découverte. Plus tard, un autre toubib, William Roberts (1830-1899), poussa la conclusion de Bostock plus loin en affirmant que la race et le niveau d’éducation étaient des facteurs qui prédisposaient à cette maladie. Par un chemin bien tordu, Roberts arriva à la conclusion que seuls les individus de souche anglo-saxonne attrapaient le rhume des foins. Même aux États-Unis, en Afrique ou en Asie, ajoutera idéologiquement ce docteur, la maladie n’affectait que les gens de « sang anglais ».

Évidemment, en ces temps où la hiérarchie des races, le racisme, le racialisme et le suprémacisme britannique étaient décomplexés, une maladie ne touchant que les Anglo-Saxons ne pouvait être qu’un signe distinctif honorable. Une morve devant laquelle le reste de la planète devait se courber au grand bonheur des pseudoscientifiques au service du racisme qui avait accouché du darwinisme social, mais aussi de l’idéologie eugéniste. Voilà donc comment le rhume des foins est devenu une histoire de civilisation, une maladie distinguée, un miasme d’élite et un signe de supériorité de la puissante Grande-Bretagne de la reine Victoria. Le nez en l’air, arborant une goutte de ce noble nectar, on se glorifiait d’avoir le rhume des foins pour exprimer sa supériorité sur le reste de l’humanité.

Il faudra donc attendre 1869 pour qu’un homéopathe anglais nommé Harrison Blackley démontre, grâce à un méticuleux protocole scientifique, que le pollen était le principal responsable du rhume des foins. Ce faisant, il força ses compatriotes à descendre de leurs grands chevaux et à en prendre pour leur rhume. Apprendre que ce qu’on prenait comme un signe de supériorité relevait d’une agression de ses voies respiratoires par les spermatozoïdes des végétaux, ça dégonfle l’égo d’un Lord.

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