Alors que l’inflation est déjà élevée et que le pacte entre les libéraux et les néo-démocrates annonçait d’importantes nouvelles dépenses, les craintes de voir la ministre Freeland déposer un budget très dépensier étaient nombreuses. Depuis plusieurs semaines, les banques, le milieu des affaires et nombre d’économistes ont mis en garde le gouvernement face aux tentations dépensières et ont prôné davantage de rigueur budgétaire.

Avec de nouvelles mesures qui s’élèvent à près de 60 milliards de dollars sur six ans, ce budget pourrait jeter de l’huile sur le feu inflationniste qui brûle au Canada (comme ailleurs) depuis des mois. Mais au-delà de l’ampleur des dépenses, il faut reconnaître que la majorité des mesures sont bien ciblées et visent les bonnes priorités. Plutôt que d’envoyer des chèques tous azimuts (ce qui stimule la consommation et ajoute des pressions inflationnistes), la majorité des mesures tentent de régler les enjeux qui limitent la production et freinent le potentiel économique du Canada (ce qui vise à accroître l’offre et à atténuer les pressions inflationnistes).

Mais la grande nouveauté du budget, c’est que les libéraux posent les bases d’un renouveau de leur discours économique et précisent leur vision économique. Un des architectes de l’ombre de ce nouveau plan de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, est clairement Michael Sabia, sous-ministre des Finances et ancien PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

« L’incertitude élevée, la réorganisation mondiale des chaînes d’approvisionnement et la transition énergétique marqueront les grandes tendances macroéconomiques de la prochaine décennie », a affirmé un haut fonctionnaire lors du huis clos. Dans ce contexte, comment le Canada, dont la croissance économique carbure grandement aux hydrocarbures, se positionnera-t-il ? Sera-t-il plus riche ou plus pauvre une fois la transition énergétique mondiale effectuée ? Ce sont les principes fondamentaux sur lesquels s’appuient les mesures économiques du budget libéral.

Le fossé se creuse

Contrairement aux budgets libéraux qui faisaient l’apologie des actions et de la performance gouvernementales, celui-ci offre une dose de réalisme rafraîchissante en nommant clairement les retards du Canada sur le plan économique.

Malgré les hausses des profits de nombre d’entreprises pendant la pandémie, les investissements privés ont été anémiques, alors qu’ils ont crû de façon importante aux États-Unis.

Non seulement cela a fait en sorte d’accroître l’écart déjà important qui nous sépare, mais aussi cela réduit le potentiel de production de notre économie pour les prochaines années.

Même portrait du côté de la productivité et des dépenses en recherche et développement. Pour la croissance du PIB réel par habitant, les prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) placent même le Canada au dernier rang des pays du G7 et de l’OCDE pour la prochaine décennie.

De même, on rappelle dans les documents budgétaires que le Canada est l’un des pays où le taux d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant est le plus élevé au monde, principalement à cause de l’industrie pétrolière. Les efforts requis pour atteindre les cibles du Plan fédéral de réduction des émissions seront colossaux et très coûteux.

Concilier économie et environnement

Le pari des libéraux est d’essayer de faire d’une pierre deux coups pour régler ces deux problèmes simultanément. L’intention est bonne, mais le défi est de taille.

Tant dans le ton que dans le choix des mesures, ce budget met l’accent sur un désir de transformer l’économie canadienne en utilisant les fonds publics pour diriger les fonds privés vers l’approvisionnement local et la transition verte. Ainsi, on annonce la création du fonds de croissance du Canada, doté d’une capitalisation initiale de 15 milliards de dollars sur cinq ans, et d’une nouvelle Agence canadienne d’innovation et d’investissement. Le gouvernement mise également sur le développement des projets de minéraux critiques, qui sont au cœur de plusieurs industries comme celles des véhicules électriques, de l’aérospatiale et des soins de santé.

Plusieurs autres mesures comme le crédit d’impôt à l’investissement pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, le crédit d’impôt pour les technologies propres et l’appui aux projets d’énergie renouvelable misent également sur les avancées technologiques et l’investissement privé pour financer la transition énergétique.

Si la vision est là, il faut qu’elle puisse se transformer en action. Au-delà des bonnes intentions, il est encore trop tôt pour évaluer l’efficacité des nouveaux outils proposés. L’information sur les modalités d’application et sur les détails de la mise en œuvre de plusieurs mesures phares viendra plus tard. Il faudra définir des cibles claires à ces investissements, assurer une reddition de comptes efficace, éviter la lourdeur administrative et l’excès de dirigisme.

Et comme le diable est dans les détails, il faudra être patient avant de savoir si le gouvernement réussira son pari ou si ses nobles intentions se traduiront par un coup d’épée dans l’eau. C’est donc partie remise pour le véritable test de la stratégie libérale.

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