Ottawa jette de l’huile sur le feu avec le CELIAPP, mais repousse encore une fois la question des transferts en santé.

Il y a quelques années seulement, on était nombreux à s'étonner que le gouvernement fédéral réussisse à faire un déficit de 20 milliards de dollars en pleine croissance économique. C’était pourtant le bon vieux temps. Cette année seulement, le déficit frôlera les 53 milliards. On prévoit ajouter presque 100 milliards à la dette au cours des trois années suivantes.

C’est moins que lors des deux dernières années financières (respectivement 328 et 114 milliards), mais les conditions ont changé, aussi. L’économie, l’emploi et les dépenses des ménages sont globalement revenus à leur niveau d’avant la pandémie.

Pourquoi Chrystia Freeland, la ministre des Finances, dépense-t-elle encore autant?

Premières Nations et dépenses militaires : nécessaire

Ottawa va allonger 11 milliards de dollars en six ans pour les services aux Premières Nations, dont ceux destinés aux enfants. Il restera toujours à voir comment ces sommes atteindront leurs objectifs, mais disons qu’on a encore du retard à rattraper pour que ces concitoyens aient les mêmes opportunités que les autres Canadiens. En somme, c’est difficile d’être contre.

Le sous-financement des dépenses militaires, qui était gênant envers nos alliés, est devenu un problème géopolitique avec la guerre en Ukraine. Ottawa va donc les augmenter de 8,1 milliards au cours des cinq prochaines années.

Ça ne suffira pas pour atteindre la cible fixée par l’OTAN (il aurait fallu mettre 15 milliards de plus), mais c’est un départ.

D’aucuns objecteront que ça ne nourrira ni ne soignera aucun Canadien. Ils ont raison, mais c’est plus que ça. Si le Canada veut assumer pleinement son rôle dans l’ordre libéral (au sens philosophique !), il doit s’en donner les moyens.

Des régimes brutaux sortent leurs muscles, les démocraties n’ont pas le choix de suivre. Comme disait Theodore Roosevelt, on peut continuer à parler doucement, mais avec un plus gros bâton.

Dérapage immobilier

Les mesures centrales du budget Freeland concernent le marché immobilier. En plus d’un versement unique de 500 $ pour ceux qui peinent à se loger, le gouvernement libéral prévoit des sommes de 2,7 milliards pour du logement abordable et de 4 milliards pour construire 100 000 habitations dans les villes.

Ça paraît beaucoup, mais c’est peu, compte tenu de la demande de logements au pays (de plus, agir sur les contraintes à l’offre est aussi plus efficace et moins coûteux). Dans tous les cas, les effets de ces mesures seront largement annulés par la suivante.

Là où le fédéral dérape complètement, c’est dans la mise en place d’un nouveau Compte d’épargne libre d’impôt, le CELIAPP, qui servira à financer l’achat d’une première maison. Mais en plus d’exempter d’impôts les retraits, les cotisations à ce « CELI-maison » seront elles aussi déductibles d’impôt, comme un REER.

Donc, plus besoin de choisir entre le CELI et le REER, le CELIAPP vous offre le beurre et l’argent du beurre !

Il sera possible d’y placer jusqu’à 8000 $ par an, jusqu’à concurrence de 40 000 $. Au total, avec deux acheteurs, c’est potentiellement 80 000 $, plus les rendements ajoutés, qui seront ajoutés au prix d’une maison dans des marchés déjà surchauffés.

Du point de vue des dépenses publiques, le CELIAPP ne mettra pas le gouvernement en faillite (on évalue le coût de la mesure à 675 millions), mais c’est économiquement douteux, parce qu’on a un problème d’offre, et que le gouvernement va surstimuler la demande. L’effet obtenu risque fort d’être contraire à celui recherché. Au final, l’accès à la propriété sera un peu facilité pour les plus fortunés et beaucoup plus coûteux pour les autres. Simplement, c’est jeter de l’essence sur un brasier.

Manque d’audace environnementale

Parlant d’essence. Le plus important est ce qu’il n’y a pas dans le budget. À 50 $ la tonne, la tarification fédérale sur le carbone est toujours insuffisante pour freiner notre consommation de carburants fossiles (tout comme le prix à la bourse, au Québec).

On peut débattre de l’opportunité de consacrer 2,6 milliards à soutenir la captation et le stockage du carbone. Mais on aurait aussi pu hausser le coût de la pollution. Ottawa, comme Québec, manque d’audace, alors que le GIEC vient de nous rappeler qu’il n’est pas minuit moins cinq, mais minuit et quart… C’est d’autant plus dommage que l’essentiel du produit de la taxe fédérale revient dans les poches des contribuables (mais pas au Québec !).

Le terrain miné de la santé

L’établissement d’une couverture universelle publique des soins dentaires vient boucher un trou anachronique dans la couverture des soins de santé au pays. Le problème est que l’initiative vient encore du fédéral – qui a l’argent – alors que la santé est une responsabilité provinciale.

Au Québec, les soins dentaires sont gratuits jusqu’à 10 ans. Le plan fédéral commence par les enfants jusqu’à 12 ans cette année, pour couvrir tous les adultes d’ici 2025, dans les familles gagnant moins de 90 000 $ par an.

Il sera intéressant de voir si le Québec voudra suivre Ottawa ou s’il préférera se retirer, avec compensation (comme pour le régime d’assurance médicaments, que Mme Freeland prévoit pour l’an prochain).

L’éléphant unifolié dans la pièce reste encore la question des transferts fédéraux.

Le gouvernement fédéral souligne peu subtilement qu’il a des attentes envers les provinces et qu’il ne semble pas trouver que les sommes actuellement dépensées en santé donnent les résultats escomptés. Ça promet pour la suite des choses.

Un sondage récent a montré qu’une majorité de Canadiens de toutes provinces et de toutes allégeances politiques souhaitent une hausse des transferts fédéraux en santé1, préférablement sans condition. Un jour, les libéraux et le NPD devront les entendre.

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