Le gouvernement fédéral, en la personne du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, doit bientôt rendre une décision au sujet du projet pétrolier Bay du Nord, au large de Terre-Neuve-et-Labrador. Cette décision a été reportée deux fois mais, à un moment donné, le couperet devra tomber.

Bien entendu, la pression est forte en faveur de l’acceptation de ce projet car cette province, qui traverse « encore » une crise économique importante, en aurait bien besoin pour relancer son économie. Oui, mais à quels prix environnementaux et de perte de crédibilité du gouvernement fédéral, dont l’orientation politique pour la lutte contre les changements climatiques va, selon les apparences, dans la direction opposée à une telle décision ?

J’utilise l’adverbe « encore » en parlant de Terre-Neue-et-Labrador, car cette province traverse crise après crise depuis la mise en place, voici plus de 35 ans, du moratoire sur la pêche à la morue et l’effondrement du prix du pétrole, dont elle ne semble jamais s’être relevée. Le moratoire a été décrété en 1992 alors que les stocks, jadis abondants, avaient été décimés jusqu’à la quasi-extinction !

Cette décision a mis au chômage quelque 30 000 habitants de la province. Elle a aussi provoqué la disparition d’un mode de vie séculaire dans de nombreux petits villages isolés de la côte. Je suis moi-même un pêcheur commercial et je ne peux même pas imaginer le désarroi de ces gens devant une telle décision tellement le choc a dû être terrible.

Ces évènements avaient mis à jour deux constats irrévocables. D’une part, les ressources maritimes, que l’on croyait éternelles, sont très vulnérables à la surexploitation et, d’autre part, les régimes réglementaires en place à ce moment-là se sont révélés insuffisants pour protéger les stocks de morue.

Les régimes ou leur application, en fait ? Aujourd’hui, on sait, par la présence de nouveaux marqueurs du génome, que les populations génétiques de cette espèce avaient été mal identifiées et, de surcroît, difficiles à gérer.

J’ai dirigé, durant mes études avancées, une étudiante stagiaire qui a fait une revue des causes du déclin des stocks de morues des grands bancs. Outre les aspects biologiques concernant cette pêcherie, il est ressorti de cette revue que c’était avant tout le refus des politiciens d’agir plus tôt, sous la pression populaire et de manière très partisane, qui a mené ces stocks à la rupture.

La question est : irons-nous encore une fois vers le même mode de gestion priorisant les aspects socioéconomiques et politiques au détriment de l’environnement avec le projet Bay du Nord ?

Cette question est inquiétante !

En effet, tout récemment, plusieurs études ont montré que les pêcheries en mer recevaient plus de subventions que les fruits de la pêche en rapportent. Le déclin généralisé des stocks de poissons dans le monde n’est pas étranger à ce constat. Malgré tout, on continue de soutenir, au détriment de la conservation des ressources halieutiques, des pêcheries peu rentables à long terme pour le bienfait des communautés côtières isolées qui en dépendent ou, au contraire, au profit de grosses multinationales déployant des efforts de lobbyismes importants sur les gouvernements.

Dans les deux cas, ce sont des préoccupations socioéconomiques qui priment sur la conservation des ressources et de la nature, contre toute logique d’une saine gestion environnementale à long terme.

Cela nous ramène au fameux projet Bay du Nord. Serait-il logique, à long terme, de soutenir ce projet et de l’autoriser ? Du point vu socioéconomique et à court terme, oui, effectivement, cela pourrait donner un sérieux coup de main à Terre-Neuve-et-Labrador, qui en a grand besoin. À long terme, je ne pense pas, surtout s’il existe un vrai désir de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et de briser notre dépendance aux produits pétroliers qui, un jour, auront bien moins de valeur et généreront que de minces profits. Ce serait un retour à la case départ pour cette province, non ?

Trop souvent, comme dans le cas de la morue, les décisions politiques ont été et sont encore influencées par une vision de gestion à très court terme dirigée par des intérêts socioéconomiques particuliers au détriment de l’ensemble de la communauté, des ressources et de l’environnement avec, en fin de compte, des conséquences désastreuses pour les communautés touchées ET l’environnement.

En ce qui concerne la promotion de l’utilisation des produits pétroliers, les émissions de GES et la crédibilité de notre gouvernement actuel, allons-nous répéter les mêmes erreurs ? Contrairement aux années 1980, alors que les informations circulaient avec bien moins de fluidité, c’est tout le reste de la planète qui est concerné et qui regarde ce que nous allons décider ! Mais cette fois, les effets d’une mauvaise décision à l’échelle mondiale, et non seulement régionale, seraient plus difficiles à cacher que le déclin d’un stock de poissons, qui d’ailleurs n’est jamais revenu aux abondances d’antan !

Comme le disait Raoul Duguay et selon le principe écologique pour lequel Pierre Dansereau a consacré toute sa vie (tout est en interaction dans notre biosphère), je citerais que « tout est dans tout » ! Cette approche fait la promotion de l’activité de l’être humain dans un milieu où tout doit coexister : le développement industriel aussi bien que les régions sauvages. Est-ce bien le cas ici ?

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