Une grande surface de rénovation annonçait encore sur sa marquise, samedi dernier « Ça va bien aller ». Visiblement, le préposé à l’affichage ne s’était pas présenté au boulot depuis mars 2020. En ces premiers jours d’avril 2022, le slogan gouvernemental a changé et est devenu : « Il faut apprendre à vivre avec le virus ».

La nonchalance publicitaire du rénovateur orange permet de mesurer le monde qui existe entre les deux mantras. 2020 : le gouvernement veille, paternel. Il ne vous arrivera rien de fâcheux. 2022 : « Ah pis, c’est de vos affaires ! » Du nous au je. Dorénavant, à chacun de jouer, de prendre en main sa COVID-19. Du collectif à l’individualisme, comme dans la plupart des pays occidentaux. De quoi cette privatisation de la COVID-19 est-elle le nom ?

Il est bien fini le temps de la première phase de la pandémie, marquée au Québec par une nette tendance à l’infantilisation de la population de la part du gouvernement, mauvais côté d’une prise en charge pourtant responsable.

Le monde entier inventait des protocoles et au Québec, la volonté de protéger la population a dérivé vers un abandon aux mains du trio santé. La vice-première ministre nous demanda d’être dociles ; nous le fûmes. Même avec l’évidence du désastre de la gestion de la COVID-19 en CHSLD, on continuait à faire confiance, alors que nous savons aujourd’hui qu’il y a eu une solide dérape et une administration déplorable dans les soins aux personnes âgées.

Cette infantilisation laissera des séquelles profondes. Mais bon, c’est avril 2022, il fait beau et dorénavant, ce sera au responsable de la Santé publique que reviendra la tâche disgracieuse de parler du sujet qui fâche, puisque le premier ministre et le ministre de la Santé sont accessoirement en précampagne électorale, et que la COVID-19, c’est so 2021. On veut se dissocier de cette pandémie qui ne finit plus.

Alors oui, on choisit son camp politique. À partir de maintenant, chacun est responsable de sa COVID-19, de sa maladie. Donc, de sa santé. On délocalise le virus. On privatise les symptômes. Soyez responsables ! Gérez votre traitement ! Devenez adultes !

Certes, avec la contagiosité du BA.2, nous allons tous l’attraper, mais s’il est normal d’agir de façon responsable, l’État n’est-il pas en train de se laver les mains de certaines de ses responsabilités, après être allé beaucoup trop loin dans la microgestion de nos vies pandémiques ? Quand le ministre Dubé se fait questionner sur la hausse des hospitalisations et qu’il répond qu’on a dit aux Québécois qu’il fallait apprendre à vivre avec le virus, il montre qu’il ne saisit pas tout ce que cela implique, ou alors qu’il a un penchant pour une certaine vision de la santé. Vision où les plus vulnérables, les citoyens à la santé fragile, les vieux devraient accepter de se marginaliser. On veut bien vivre avec, mais à condition que la société soit adéquatement préparée, qu’on donne accès à des tests PCR, qu’on ventile les écoles, qu’on soutienne et conserve des mesures de protection minimales claires et précises, qu’on pousse sur la troisième dose du vaccin. J’ai eu la COVID-19 récemment, et l’isolement requis variait, selon les sources, de 5 à 14 jours. La COVID-19 n’est pourtant pas un menu à la carte…

Avec le « vivez avec », on vient de privatiser les conséquences sur l’organisation de toute la société. Nous en connaissons les conséquences dramatiques sur les travailleurs du système de santé, mais que dire des effets sur les entreprises, petites ou grandes ? Absentéisme en cascade, ruptures de chaînes de production, annulations, fermetures, pression sur les employés valides. Les entrepreneurs sont seuls avec leurs problèmes et les coûts engendrés. Les ordres de gouvernement se contredisent, les experts marchent sur des œufs. Débrouillez-vous ; la COVID-19 est devenue affaire privée.

« On va vivre avec ». C’est clair, il n’y a pas d’autre solution. Mais vivre avec signifie-t-il inéluctablement vivre sans le soutien collectif ? Qu’est-ce que ça raconte de notre manière de faire société, d’envisager, pour l’avenir, nos soins de santé, notre rapport à la maladie ? Les plus vulnérables sont-ils, seront-ils responsables individuellement de leur état ? Qu’en est-il des conditions socio-économiques, de classe, qui les prédisposent à la fragilité ? Être vieux est-il une tare individuelle ? Ou devons-nous tous être là pour eux, maintenant et à l’avenir ?

Tout le monde est tanné de cette pandémie. Les priorités sont désormais ailleurs. Le meilleur moyen de revenir à la normale serait de rapatrier le virus et ses conséquences dans notre cour personnelle et de fermer la porte. Mais l’individualisme ne triomphera pas seul du virus. Entre le lénifiant « Ça va ben aller » et l’hyperlibéraliste « Débrouille-toi », un entre-deux doit bien exister…

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion