En 1987, la Société de recherche sur le cancer m’a permis de parfaire ma formation en m’accordant une bourse. Alors que je venais de terminer un baccalauréat et amorçais ma formation en médecine, j’ai pu concomitamment obtenir une maîtrise en sciences en développant un modèle d’étude sur un type de cancer relativement rare.

Mes recherches étaient menées dans un centre de recherche financé par le Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ, maintenant connu sous le vocable de FRQS). L’encadrement du DGuy Pelletier, qui a été un mentor inoubliable, et l’émulation par les pairs m’ont permis de développer mon esprit scientifique, de proposer des hypothèses et des interventions pour les valider ou les infirmer. Ultimement, cela a contribué à mon choix de pratique future en hématologie et oncologie, de même que mon implication dans divers projets de recherche pendant 23 ans de pratique. J’ose espérer que ma contribution, grâce à l’obtention d’un diplôme en recherche, a aussi permis le développement de connaissances en lien avec l’amélioration du diagnostic et du traitement de divers types de cancer, au Québec et ailleurs.

Avec le budget déposé par Eric Girard, j’ai vu se fermer en partie une porte du type d’occasion dont j’ai profité il y a plus de 30 ans.

Le budget du FRQS a été amputé de 26 millions de dollars, soit de 25 %. Quand on analyse le budget global en recherche du gouvernement québécois sans se restreindre aux sciences de la santé, la ponction est de 80 millions, soit près de 35 % de réduction. Certes, les officiers du gouvernement répliqueront que 240 millions de dollars ont été ajoutés par l’entremise du ministère de l’Économie et de l’Innovation, dans un but titré de stimulation de la croissance économique. Mais cela n’est pas rassurant. Permettez-moi d’établir pourquoi. Venant du domaine des sciences de la santé, je me restreindrai à l’analyse de ce domaine.

Le rôle des chercheurs indépendants, associés à des centres de recherche et des universités, est de proposer des axes de recherche, dont certains sont souvent délaissés par le privé qui vise le profit. De plus, ces médecins et Ph. D. sont responsables de la formation des chercheurs de demain. Les étudiants sous leur gouverne doivent apprendre la méthode scientifique, à critiquer et apprécier la recherche, à créer et produire des données, pour ensuite les rapporter à la communauté scientifique. Cela doit s’opérer dans des lieux neutres, relativement indépendants et protégés des interventions externes d’organismes subventionnaires ou d’industries qui ont des objectifs précis et lucratifs, voire de secret scientifique.

Au-delà de la formation des futurs chercheurs, plusieurs de ceux qui œuvrent au sein de lieux de recherche québécois obtiennent leur rémunération grâce à des programmes du FRQS. Ces programmes, au sein desquels les candidats sont évalués sur la pertinence des propositions de recherche et leur productivité, permettent de maintenir au Québec une manne de gens qui développent notre savoir, appuient le développement de soins québécois et forment des chercheurs. Ces derniers pourront non seulement se joindre aux gens qui les ont formés, mais aussi opter pour les domaines industriels qui font de la recherche et développement (R & D). Sans investissement dans la recherche indépendante, il y aura donc vacuum de ressources humaines avec une formation scientifique de pointe pour le domaine privé.

C’est faire preuve de courte vue que de réduire l’empreinte du FRQS en diminuant de façon draconienne son budget, réduisant ainsi notre capacité collective d’innovation à moyen et long termes.

Spécifions de plus que ces chercheurs indépendants sont les mêmes que nous avons vus plus souvent en période de pandémie, expliquant l’infection, développant des tests pour faire le diagnostic, proposant des interventions aux autorités gouvernementales. Cela ne leur aurait pas été possible s’ils avaient été intégrés à des équipes privées financées par les industries ayant des stratégies visant un développement axé sur la rentabilité.

Ne nous méprenons pas, la recherche subventionnée par l’industrie a tout à fait sa place, mais elle ne devrait pas être directement impliquée dans la formation des chercheurs, qualitativement et quantitativement. La société québécoise a longtemps favorisé une éducation indépendante des besoins immédiats de l’industrie, offrant un curriculum général qui permet une adaptabilité de la carrière future. Je crois que c’est la voie à maintenir. Si les annonces gouvernementales ont pour effet de forcer des formations en recherche dans des lieux industriels privés ou assortis de conditions de confidentialité et d’exclusivité, le Québec sortira perdant. Par ailleurs, étant donné la frilosité du gouvernement à investir dans des axes de recherche risqués (donc qui ont un haut potentiel d’échec), l’apport de l’industrie pour ce type de développement demeure essentiel au Québec.

À l’instar des États-Unis, le Canada et le Québec en particulier devraient largement favoriser l’indépendance et l’autonomie de la diplomation universitaire aux cycles supérieurs en accentuant les efforts pour renforcer matériellement et en ressources humaines les centres de recherche plutôt que de les affaiblir en réduisant leur principale source de financement pérenne.

Le budget s’éloigne de cet élément essentiel à l’essor d’une société qui veut s’offrir une participation aux connaissances permettant l’amélioration de la qualité de vie.

Tout cela peut sembler bien abstrait, je le sais. Mais il faut que la recherche s’accomplisse au bénéfice de l’État, et que toute subvention à la recherche donnée à l’industrie le soit dans un modèle de partage des risques et des bénéfices potentiels, incluant la diffusion des données générées.

Alexis Carrel, nobélisé pour ses recherches médicales, a dit : « Après tout, la civilisation a pour but, non pas le progrès de la science et des machines, mais celui de l’homme. » Je crois fondamentalement que l’avenir d’une nation qui veut s’identifier, se définir et se perpétuer réside dans sa capacité à s’analyser, à se comprendre et à comprendre l’autre. Alors que l’on annonce une refondation du système de santé, il me semblait utile de rappeler que la recherche fait partie des bases de l’évolution des soins et qu’elle est aussi indispensable pour suivre les changements proposés pour statuer sur leur bienfait dans le temps. Je souhaite qu’un plus grand nombre de Québécois profitent de la même occasion qui m’a permis de définir mon futur par la recherche.

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