Selon les projections de Statistique Canada, quelqu’un atteignant 65 ans en 2022 vivra 24 années en moyenne, soit jusqu’à 89 ans. En 1966, au lancement du Régime de rentes du Québec (RRQ), cet horizon était plutôt de 15 ans. Notre population vieillit, mais ceux qu’on classifie comme aînés, de manière un peu arbitraire, ont gagné beaucoup d’années devant eux.

Ceux qu’on appelle nos aînés arrivent aussi aux âges avancés avec un patrimoine qui n’a rien à voir avec celui des générations précédentes. En 1999, la richesse médiane de la population âgée de plus de 65 ans au Canada, incluant la valeur de tous les actifs financiers et non financiers moins les dettes, était de 302 500 $ (en dollars constants de 2019) ; ce chiffre a presque doublé pour atteindre 543 200 $ en 2019, selon Statistique Canada. Nos aînés sont aussi de plus en plus nombreux à occuper un emploi après l’âge de 65 ans, ce qui témoigne de leur engagement économique.

Même s’il demeure que près d’un aîné sur 10 doit vivre près du seuil de la pauvreté, et qu’il faut s’en préoccuper, on note trop peu souvent le progrès économique réalisé.

En fait, je reste souvent surpris devant le fossé énorme entre les faits, qui tracent un portrait très positif de l’évolution des conditions économiques de nos aînés, et d’autre part le débat public alimenté par le marché politique. Alors qu’il faut certainement continuer de supporter nos aînés les plus vulnérables, nos discussions de politiques publiques concernant les aînés ont tendance à mettre les projecteurs sur le filet social, certes un enjeu important, pour laisser dans l’ombre les discussions sur des enjeux financiers qui pointent à l’horizon pour beaucoup et peuvent entraîner une baisse de niveau de vie importante à la retraite – sans pour autant mener à la pauvreté. Les solutions proposées à ces enjeux restent limitées.

Malgré la venue prochaine de générations de retraités avec des régimes à prestations cibles qui viendront tempérer la disparition en cours des régimes à prestations déterminées dans le secteur privé, plusieurs générations arriveront entre temps à la retraite avec d’importants montants accumulés dans des régimes à cotisations déterminées, des REER et CELI. Or, ces aînés sont en grande partie laissés à eux-mêmes en ce qui concerne le décaissement de ces sommes dans un contexte où le risque de longévité – celui de survivre à ses épargnes – les guette. Dans des enquêtes que nous avons réalisées chez les retraités canadiens, moins de 10 % de cette population avait converti une partie de leur épargne en rente viagère ou prévoyaient le faire. Par ailleurs, le niveau de connaissance des rentes viagères est très faible et les considérations fiscales sont mal maîtrisées.

Jusqu’avant la pandémie, près de 40 % des Québécois devenant admissibles à la rente de retraite du RRQ faisaient le choix de débuter les paiements à 60 ans, malgré une pénalité permanente de 36 % sur leur rente. Pour chaque année de report de la rente pour un travailleur, celle-ci augmente de plus de 10 % jusqu’à la fin de ses jours. Donc, contre la renonciation de prestations à 60 ans pour une année, équivalant à un placement ne pouvant être dépensé, la personne reportant sa rente va bénéficier d’un rendement, indexé à l’inflation, de plus de 10 %, sans risque étant donné la bonne tenue du régime. Difficile de trouver mieux. Même si plusieurs considérations peuvent faire en sorte que ce report ne soit pas toujours idéal, il n’en demeure pas moins que d’encourager le report pour certains ferait bien davantage en termes de niveau de vie que d’autres politiques de soutien du revenu.

De manière paradoxale, il manque de solutions pour faire face aux risques financiers associés à la perte d’autonomie alors que ce terme est sur toutes les lèvres depuis le début de la pandémie.

Bien que les projections laissent croire à un manque futur d’offre publique de soins, et donc à des risques financiers importants pour nos aînés, ceux-ci demeurent méconnus. Les aînés se préoccupant de ces enjeux en termes financiers n’ont que quelques solutions pour se protéger contre ces risques. Selon nos études, moins de 10 % des 50 à 70 ans ont une police d’assurance contre ce risque, et le nombre de fournisseurs de ces produits n’a cessé de diminuer dans les dernières années. Comment ne pas voir dans ce constat une opportunité manquée de financer une meilleure prise en charge de la perte d’autonomie ?

Un changement de paradigme semble s’imposer. L’heure est peut-être à donner davantage d’outils à nos (futurs) aînés afin qu’ils puissent mieux profiter de leur patrimoine financier et en retirer le meilleur niveau de vie possible pour leurs vieux jours. Je suis aussi porté à croire que l’éducation financière devrait être de mise afin de tenir compte de la variété de circonstances et de préférences et de viser une plus grande autonomie financière pour les aînés.

* Pierre-Carl Michaud est co-titulaire de la chaire sur les enjeux économiques intergénérationnels et directeur de l’Institut sur la retraite et l’épargne

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