La Cour d’appel de l’Ontario a jugé le 28 janvier dernier que le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford violait la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée depuis 2018 en refusant de rendre publiques ses lettres de mandat ministériel. Environ un mois s’est écoulé depuis cette décision et il ne reste plus qu’un autre mois au gouvernement pour publier les missives ou décider de porter la cause en appel devant la Cour suprême du Canada.

Après son élection, Doug Ford avait clamé haut et fort qu’il amènerait imputabilité, transparence et intégrité pour les contribuables en Ontario. Or, en ne divulguant pas les lettres de mandat, il renie cette promesse. Même si le gouvernement Ford souhaite préserver la confidentialité des délibérations du cabinet qui sont essentielles à une bonne gouvernance, il semble retarder inutilement l’inévitable. En effet, les lettres seront publiées un jour, et le plus vite serait le mieux !

Une nouvelle norme de transparence et d’imputabilité

Les lettres de mandat, rédigées par le premier ministre, dictent de manière large les objectifs que devront atteindre les ministres dans le cadre de leurs fonctions et comment y parvenir. Elles reflètent généralement les promesses électorales faites par le parti au gouvernement. Ces feuilles de route sont typiquement envoyées aux ministres concernés après le discours du trône marquant le début d’une nouvelle session parlementaire.

Pendant longtemps, les lettres de mandat n’existaient pas dans les systèmes parlementaires de style Westminster comme au Canada. Lorsqu’elles sont récemment apparues au pays, elles n’ont pas été diffusées publiquement mais pouvaient être obtenues dans certains cas via une demande d’accès à l’information. Le premier ministre albertain Jim Prentice, puis le prédécesseur de Ford en Ontario, Kathleen Wynne, ont été les premiers à les rendre automatiquement publiques en 2014. Le premier ministre Justin Trudeau et d’autres premiers ministres provinciaux ont décidé de suivre leur exemple.

En divulguant les missives adressées aux ministres, on convient du droit des citoyens d’être au courant des actions gouvernementales, soit un droit déjà reconnu dans le cadre des lois canadiennes sur l’accès à l’information.

La nouvelle norme de gouvernance ainsi créée permet d’assurer un haut niveau de transparence vital pour la démocratie. Le public détient désormais l’information nécessaire pour participer de façon significative au processus politique.

Par ailleurs, le dévoilement des lettres de mandat a pour effet de rendre les politiciens et les fonctionnaires plus imputables. Ils sont ainsi plus motivés à garder le cap, sachant qu’ils seront jugés sévèrement s’ils ne remplissent pas les attentes émises par le premier ministre. Les partis de l’opposition, les journalistes et les parties prenantes sont aussi mieux armés pour rappeler à l’ordre un gouvernement qui ne respecterait pas ses engagements.

Pourquoi garder le secret ?

Il est surprenant que le gouvernement Ford s’obstine à garder secrètes les lettres de mandat, car il y a fort à parier que leur contenu est en fait banal et évident. Selon lui, toutefois, ses lettres de mandat n’ont pas été écrites pour une consommation publique comme c’est le cas pour les lettres d’autres gouvernements.

On craint que se conformer à la décision de la cour aurait un effet paralysant sur les discussions franches tenues lors des réunions du cabinet qui sont essentielles au bon fonctionnement du gouvernement. Le refus de publication s’expliquerait alors par un désir de maintien de la confidentialité des délibérations du cabinet.

Le gouvernement soutient que la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée ne l’oblige pas à divulguer les lettres de mandat puisqu’elles font l’objet d’une exemption au sein de la loi à titre de documents du cabinet. Plus précisément, la loi exempte tout document révélant l’objet des délibérations du cabinet de toute demande d’accès à l’information.

Mais comme le suggère Lorne Sossin, l’un des juges d’appel qui a entendu la cause, les lettres de mandat représentent la culmination du processus délibératif du cabinet et n’exposent ni ce processus ni les options rejetées en cours de route.

En général, les gouvernements préfèrent agir de leur propre gré plutôt que de se voir contraints par des décisions judiciaires. Plus que de signaler qu’ils ont essuyé une défaite, les jugements des cours créent des précédents qui limitent leur champ d’action future.

En attendant, la bataille légale qui dure depuis déjà trois ans et demi a coûté des milliers de dollars aux frais du contribuable, qui en finit perdant.

Que l’on soit convaincu ou non par ses arguments, le gouvernement Ford ne fait que retarder l’inévitable étant donné le consensus légal qui s’est dégagé sur la question ! Après un ordre du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, un jugement unanime de la cour de première instance et un jugement majoritaire de la Cour d’appel en faveur du dévoilement des lettres de mandat, il serait étonnant que la Cour suprême appuie le gouvernement dans cette affaire.

Malgré ça, l’ordre donné par l’exécutif est de garder les missives à l’interne le plus longtemps possible. Ceci donne l’impression que le gouvernement a quelque chose à cacher et nuit à son image. Il aurait été pourtant avantageux politiquement de divulguer les lettres il y a longtemps pour éviter de se mettre potentiellement dans l’embarras juste avant le scrutin provincial prévu pour le 2 juin prochain.

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