Après une promesse électorale, après des semaines de spéculations, après le dévoilement d’une courte liste. Après plus de 200 ans, après 108 hommes blancs, 2 hommes noirs, 4 femmes blanches et après une femme latina, il y aura – si elle est confirmée par le Sénat américain – Ketanji Brown Jackson.

Vendredi dernier, le président Joe Biden a nommé Mme Brown Jackson à la Cour suprême des États-Unis. En plus d’avoir une brillante carrière, cette juge accomplie et diplômée de l’Université Harvard est aussi une femme noire. Je ne raffole pas d’avoir à le mentionner, malgré que je sois gonflée de fierté.

Parce que de le mentionner, c’est faire le choix, d’abord et avant tout, d’identifier Ketanji Brown Jackson par l’intersectionnalité qui fait d’elle une exception au sein de cette influente institution. Peut-être, comme moi, préférerait-elle qu’on voie en elle, avant tout autre chose, la grande juriste qu’elle est et les nombreux accomplissements qui le prouvent. Mais elle n’a pas ce luxe. Du moins, pas encore.

L’arrivée de Ketanji Brown Jackson voudrait dire qu’il y aurait, finalement, une meilleure représentation du tissu social américain à la plus importante instance juridique aux États-Unis.

Cette nomination est fondamentale, aussi, parce que les Noirs ne représentent pas un groupe monolithique ; de n’avoir que le très conservateur juge Clarence Thomas à la Cour suprême des États-Unis n’a jamais été ni satisfaisant, ni représentatif, ni particulièrement édifiant.

Mieux connaître, mieux comprendre

Il y a quelque chose d’extraordinaire dans la nomination des juges de la Cour suprême des États-Unis. La mise en scène a des airs de téléréalité – une sorte d’American Idol où tous les candidats portent des toges. C’est vrai pour Ketanji Brown Jackson et pour les autres qui se trouvaient sur la même courte liste qu’elle, et c’était vrai pour leurs prédécesseurs contemporains.

Le déroulement est toujours le même. Le nom des possibles nommés circule, puis commence la délibération dans l’opinion publique. On apprend tout des candidats. En plus de leur parcours professionnel, on sait avec qui ils partagent leur vie, on apprend le nom de leurs enfants, on connaît leur aria préférée et leur routine de sport de rigueur.

Cette perception de transparence et de proximité explique peut-être, en partie, l’attachement que les Américains – même ceux qui n’œuvrent pas dans le domaine du droit – ont pour certains des juges qui siègent à la Cour suprême.

Serait-ce possible que, malgré notre admiration, ce soit un attachement que nous – ceux n’œuvrant pas dans le domaine du droit – n’avons pas nécessairement, ici, pour nos juges de la Cour suprême du Canada ? C’est dommage, parce que même si les mécanismes des deux cours sont différents, le prestige du titre et l’importance du rôle de juge et de l’institution, eux, sont tout aussi importants.

En juin dernier, le journaliste Paul Wells signait un superbe portrait de la juge Rosie Abella, à l’aube de sa retraite de la Cour suprême du Canada. Le magazine Maclean’s en avait fait son frontispice. Ce trop rare traitement médiatique à l’américaine a des avantages. Pour les minimalement initiés comme moi, c’est une opportunité de mieux comprendre le fonctionnement de la cour et les enjeux juridiques du pays. C’est une manière aussi de mieux connaître ces brillants gardiens de nos droits et, possiblement, d’inspirer – de manière insoupçonnée – une nouvelle génération d’avocats. Comme saura le faire Ketanji Brown Jackson, si elle est confirmée comme juge à la Cour suprême des États-Unis et si, comme certains qui l’ont précédée, elle se prête au jeu d’accorder des interviews à des médias populaires et à rayonnement international, comme le magazine People ou l’émission de fin de soirée de Stephen Colbert, par exemple.

De voir Ketanji Brown Jackson, de l’entendre sur différentes tribunes a aussi l’important pouvoir et rôle de normaliser la présence de femmes noires dans des postes décisionnels et influents.

Mieux comprendre, faire avancer les choses

Les arrêtés de la Cour suprême des États-Unis ont souvent provoqué d’importantes avancées sociétales, et ce, au-delà des frontières américaines et bien après que les décisions eurent été rendues. Pensons à Brown v. Board of Education en 1954, sur l’inconstitutionnalité de la ségrégation dans les écoles publiques ou encore à la décision de Roe v. Wade, sur le droit à l’avortement qui, 50 ans plus tard, fait encore les manchettes.

Des décisions de ce puissant tribunal sont devenues d’influents flashpoints culturels aux États-Unis et à l’international, qui ont transcendé les confins de la justice. Notamment parce que certaines d’entre elles ont été portées à l’écran et que le cinéma demeure un important vecteur. Pensons au film Gideon’s Trumpet, basé sur le jugement de Gideon v. Wainwright ou à Hustler Magazine v. Falwell, qui a inspiré le film The People vs. Larry Flynt ou au film Loving, qui a mis en scène l’histoire de la décision Loving v. Virginia – sur les lois de mariages mixtes.

Tant d’arrêts à grande portée et aux répercussions multiples, sans l’apport ni les perspectives d’au moins une femme noire ? L’arrivée de Ketanji Brown Jackson et l’influence qu’elle aura se font tard. Le temps n’est-il pas venu pour que la Cour suprême du Canada, elle aussi, soit plus à jour et représentative ?

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion