D’ici peu, l’Assemblée nationale du Québec votera des amendements que plusieurs souhaitent substantiels à la Loi sur la protection de la jeunesse. Déjà des couacs se font entendre. Le rapport risquerait d’être tabletté, des recommandations importantes demeurant en plan indéfiniment.

La Loi sur la protection de la jeunesse et le système d’intervention que la sous-tend, la DPJ, ont fait l’objet d’une myriade de rapports et d’amendements législatifs depuis sa mise en vigueur en 1979. Malheureusement, après chaque nouveau rapport et chapelet d’amendements, nous avons assisté à l’augmentation irrésistible des signalements et à l’incapacité durable du système à éliminer les listes d’attente, à intervenir efficacement en respectant les délais et en offrant l’intensité d’intervention nécessaire pour éviter que la situation préjudiciable ne se reproduise.

Alors, la question à plusieurs millions est la suivante : pourquoi faudrait-il que ce soit différent cette fois-ci ? Et si c’était l’architecture même du système et certains des principes qui le sous-tendent qui étaient en cause dans ses dysfonctionnements ?

Malgré son impressionnante démarche de consultation, des centaines d’intervenants, experts, jeunes, parents entendus, des mois de travail, quelques millions de dollars et plus de 300 pages d’analyse et de recommandations, il se dégage du rapport de la commission Laurent un immense sentiment de déjà vu, déjà écrit, déjà entendu. Il n’y a aucun doute, il y a un réel diagnostic (on pourrait même dire « des diagnostics ») dans ce volumineux rapport.

Mais il ne faut pas s’y tromper, il s’agit pour l’essentiel d’un autre effort de rafistolage d’une loi et d’un système qui tourne en rond. En refusant de réfléchir véritablement « hors de la boîte », à changer les paradigmes du système, on se condamne à répéter les mêmes erreurs.

Je crois malheureusement que c’est ce qui nous attend, une des raisons étant que nous avons érigé en système des principes d’intervention sociale qui sont des vues de l’esprit. Parmi ceux-ci, il y a le concept de « seuil de protection » et celui d’interventions dites de « première, deuxième ou troisième ligne ». Pour qu’un signalement soit retenu ou pour qu’un enfant puisse bénéficier de la protection de l’État, la situation doit dépasser un certain seuil de protection défini selon des critères très précis. Selon les conditions de vie d’un enfant à un moment donné, sa situation pourra basculer dedans ou dehors du système de la protection de la jeunesse.

Cette notion de seuil de protection est une construction de toute pièce des acteurs du système de protection de la jeunesse. Elle n’existait pas au départ dans la loi et elle a été conçue, notamment, comme une barrière à l’entrée de la protection de la jeunesse, dans l’espoir de sauver un système littéralement assiégé par les demandes d’aide. Sur un plan strictement humain, ce concept est inopérant, car la réalité est beaucoup plus complexe. Les relations entre un enfant et ses parents ou ceux qui en tiennent lieu, sont constamment en mouvance et se situent à un moment ou un autre sur un continuum qui va d’une relation harmonieuse qui contribue au développement à une relation dangereuse qui implique la notion de crime contre la personne, comme on l’a vue dans la situation de la fillette de Granby.

La réalité voudrait donc que lorsqu’une préoccupation émerge dans une famille, que cette préoccupation vienne des parents ou de tiers, elle doit donner lieu à une évaluation, dans certains cas multidisciplinaire, et, le cas échéant, à une intervention adaptée à chaque situation. Or, dans le système actuel, la situation n’est pas si simple, les appels à l’aide, les signalements, les évaluations se multiplient, alors que les délais s’allongent et l’intensité de l’intervention n’est presque jamais au rendez-vous.

Malheureusement, le concept de seuil va de pair avec celui, tout aussi étriqué – dans les services sociaux en tout cas –, d’intervention en première, seconde ou troisième ligne.

Très grande source de discontinuité dans les services et d’inefficacité, les situations des familles étant évaluées à répétition sans que les services soient offerts au bon moment, avec l’intensité souhaitable.

En refusant de remettre en question ces « vaches sacrées » de l’intervention, on se condamne à revivre le jour de la marmotte et à répéter les mêmes erreurs une fois de plus.

Ce qu’il nous faudrait souhaiter, c’est de modifier en profondeur le paradigme, en réécrivant la loi comme une véritable loi sur les services d’aide à l’enfance et à la famille. Les mots « aide », « enfance » et « famille » sont ici de la première importance. Cette loi pourrait donner lieu, évidemment, à une intervention d’autorité, sociale ou judiciaire, selon les circonstances et ce qui est nécessaire.

Cette nouvelle appellation n’est pas qu’une question sémantique, c’est avant tout un changement de philosophie en ce qu’elle irait de pair avec un système d’intervention qui n’est plus hiérarchisé entre les première, seconde ou troisième ligne, un concept issu du monde médical et qui n’a jamais eu sa place dans les services sociaux.

* L’auteur a œuvré pendant plus de trente ans dans les services de la protection de la jeunesse. Il a notamment travaillé à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, en plus d’être le conseiller de l’ex-ministre à la protection de la jeunesse Véronique Hivon.

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