En réponse au dossier de notre journaliste Mayssa Ferah, « Qui a peur du rap ? »1, publié le dimanche 6 février dans la section Contexte

En décembre dernier, j’ai été sollicité par la journaliste Mayssa Ferah, de La Presse, qui souhaitait connaître ma position sur la légitimité des amalgames existant entre le rap et la criminalité. Je remarque, au début du mois de février, un texte titré : « Qui a peur du rap ? »

Dans les années 1960, on aurait pu titrer : « Qui a peur des Noirs ? ». Des N* * * * * (certes, le rap n’existait pas dans les années 1960, mais les communautés afrodescendantes qui ont contribué à son essor, elles, existaient. Il y avait le jazz, non ? Et pour ce même jazz, il y avait, dans nos rues, l’escouade de la moralité…).

Tout récemment, le média Pivot a confirmé que la maman de Jannaï Dopwell-Bailey, un jeune poignardé à mort devant son école au mois d’octobre dernier, s’était fait dire par le programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) qu’elle ne pourrait pas recevoir d’aide pour l’instant, car son fils ferait partie d’un gang de rue. Le 20 octobre dernier, Mme Ferah avait écrit sur le sujet. Son texte au titre sensationnaliste disait que trois jeunes [blancs] célébraient la mort d’un jeune homme noir de 16 ans du nom de Jannaï, en dansant sur de la musique drill.

« Qui a peur du rap ? » Titre clickbait, vu que le texte ne répond pas à la question. Peu de place pour l’analyse du jeu qui a lieu autour des tragédies qui écourtent, à répétition, la vie de tant de jeunes. Peur du rap ? Quel type de rap ? Le traitement réducteur de la question ainsi que le détournement de la question initiale témoignent d’un procédé freinant la capacité du média de recueillir la critique sur sa propre manière d’approcher ce qui caractérise le rap : la jeunesse, les communautés noires et racisées, les réalités urbaines et la narrative dominante médiatique qui piège celle-ci (la jeunesse).

Un titre responsable aurait été : « Qui profite du rap résultant de la mort sociale et physique de certains jeunes ? » Et là, je ne parle pas forcément du rap prisé par les stations de radio à heure de grande d’écoute, mais plutôt du rap sans filtre qui n’a rien à voir avec les contes de Fred Pellerin.

Autre proposition : « Qui profite de l’amalgame entre crime et rap ? » Ceux dont on n’oserait même pas soupçonner la criminalité, #WilliamRainville. Ou peut-être : « Qui profite vraiment du rap ? » Rarement ceux qui le font. C’est le statu quo qui tire son épingle du jeu. On investit dans les mêmes structures de répression et de surveillance sur les mêmes groupes, sans pour autant considérer de façon soutenue, les possibilités qu’offrirait le pari de la confiance absolue au génie des jeunes, en déficit d’environnements favorables à la création de nouveaux rites de passage.

Les amalgames entre rap et criminalité sont déshumanisants et occultent les dynamiques qui poussent un jeune à commettre l’irréparable. En déshumanisant les jeunes tués de façon violente, en faisant un tri entre ceux qui sont sans histoires et ceux qu’on présume, à tort, être membres de gangs de rue, il y a lieu de se demander si nos médias ne font pas le contraire de ce qu’ils prétendent faire. La dynamique de production médiatique actuelle semble favoriser la froideur bureaucratique à l’égard des victimes. S’ensuivent des délais avec l’IVAC.

Ceux qui profitent de la narrative dominante sur le rap profitent aussi des clichés qui perdurent sur les communautés noires.

Dans le cas du meurtre de Jannaï, au mois d’octobre dernier, c’est toute l’intensité des préjugés que l’on retrouve et qu’il est urgent de rectifier.

Et pour rectifier une erreur, il faut le courage de l’honnêteté analytique.

1. Lisez le dossier « Qui a peur du rap ? »

Réponse de Mayssa Ferah

Comme je l’ai signifié à M. Lamour dès le début de notre rencontre, je m’intéressais aux amalgames entourant rap et criminalité. Bien au fait des préjugés qui accablent la culture hip-hop et le rap, je souhaitais faire entendre le point de vue de multiples acteurs du milieu pour mettre un peu de contexte.

Mon but, cette fois-ci, n’était pas de faire un article sur le phénomène de la violence armée.

En ce sens, j’estime que le dossier publié dans La Presse remplit sa mission.

Est-ce que les médias font le contraire de ce qu’ils prétendent faire ? Je ne crois pas. Mon travail de reporter est de traiter chaque sujet sans a priori, de dénicher de l’information et des témoignages, d’en vérifier la validité et de transmettre les faits au public.

En ce sens, j’estime remplir ma mission.

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