L’été passé, j’ai fait une émission de radio avec Denis Goulet, professeur associé à la faculté de médecine de l’Université de Montréal et spécialiste de l’histoire de la médecine et des maladies. La rencontre s’est faite autour de son bouquin intitulé Brève histoire des épidémies au Québec – du choléra à la COVID-19. Une agréable et édifiante lecture dans laquelle on apprend entre autres que la résistance sociale à la vaccination et au confinement ne date pas d’aujourd’hui.

Retournons à Montréal, entre 1875 et 1885. Tandis que des vagues d’épidémies de variole sévissent comme des « trolls » sur Facebook, de nombreux francophones refusent le vaccin pour se prémunir contre la maladie. En cause, certains chroniqueurs et ecclésiastiques font courir une rumeur selon laquelle les autorités britanniques cherchaient à affaiblir la population canadienne française en lui injectant un poison dans les veines !

Dans un journal anglophone, on va jusqu’à colporter que si la maladie se propage, c’est à cause de l’hygiène douteuse des francophones. Que voulez-vous ? La recherche de coupables et de boucs émissaires est indissociable de l’histoire des épidémies. On trouve même des médecins pour témoigner de l’inutilité vaccinale. Il faut dire qu’à l’époque, les vaccins, fabriqués à base de virus dont la virulence avait été atténuée, comportaient leur dose de risque.

Contrairement aux vaccins hypersûrs d’aujourd’hui, certaines fioles pouvaient contenir des microbes encore assez « sains » pour infecter une personne pendant sa vaccination.

Ajoutez à cela la très récente pratique de la vaccination à l’époque – et sa part d’inconnu pour le commun des mortels – ainsi que les méthodes de stérilisation rudimentaires des seringues – qui étaient aussi sûres que l’avenir d’un chef conservateur – et vous paviez la voie aux sceptiques. L’isolement des contaminés, le confinement des enfants malades et de leur famille dans des hôpitaux désignés et le placardage des maisons trouveront de la résistance et de l’incompréhension dans une partie de la population.

Lorsque, dépassé par l’ampleur de l’épidémie, le maire Honoré Beaugrand rendit la vaccination obligatoire, on vit convoyer une foule de manifestants en colère jusqu’au centre-ville. Wô les moteurs et bas les masques, eux aussi en avaient leur truck ! Certains assiégèrent et incendièrent le bureau de Santé du Faubourg de l’Est, où travaillait l’équivalent de notre actuel directeur de la Santé publique, d’autres fracassèrent des fenêtres de l’hôtel de ville ou encore menacèrent des médecins vaccinateurs jusque devant leur propre maison !

À la demande du maire de Montréal, le gouvernement fédéral mobilisa 600 soldats pour faire respecter l’ordre, et pour protéger les médecins visés par les manifestants, on les flanqua de policiers. Dans ces années, comme dans les nôtres, de nombreuses personnes réfractaires aux mesures sanitaires étaient convaincues que le vaccin était plus dangereux que la maladie. Résultat, l’épidémie de variole aura finalement touché 20 000 personnes au Québec, dont une majorité furent défigurées. Elle aura emporté 3000 Montréalais, dont la très grande majorité étaient des francophones qui refusaient la vaccination. Je vous recommande la lecture du bouquin de Denis Goulet pour un plongeon plus large et éclairant sur ces sujets.

Si l’épidémie de variole a atteint les Montréalais de plein fouet, celle de grippe espagnole, elle, aurait complètement raté sa cible dans la petite communauté nord-côtière de Baie-Johan-Beetz. En cause, le docteur Johan Beetz y a pratiqué la quarantaine avec succès. Rappelons que cette réclusion forcée, ou fortement suggérée, est une pratique très ancienne qui a fait ses preuves en temps d’épidémie.

On rapporte que la première quarantaine de l’histoire a été promulguée à Venise en 1374 lorsqu’on a « fermé » la ville pendant 40 jours pour épargner la population de la peste bubonique. Cette pratique de santé publique sera baptisée en italie quaranta giorni, qui signifie 40 jours.

Les navires mis à l’écart devenaient ainsi moins dangereux pour la population locale, et ce n’est qu’à la fin de leur réclusion que les occupants étaient autorisés à entrer dans la cité. C’est un peu cette méthode que nous appliquons encore aujourd’hui, mais sous une autre forme, dans la lutte contre la COVID-19. La méthode de Venise sera rapidement imitée par les autres grands ports de la Méditerranée européenne. D’ailleurs, chaque grand port d’Europe avait son lazaret, une forteresse surveillée dans laquelle marchandise et étrangers suspects devaient rester en quarantaine avant d’être admis dans la cité.

La grippe espagnole a donc épargné le petit village de Baie-Johan-Beetz, car le docteur Johan Beetz y a pratiqué le confinement comme stratégie de protection. Ce médecin, aristocrate et sculpteur belge, est arrivé dans ce hameau nord-côtier en 1897 pour fonder un élevage de renards ! Or, lorsque la pandémie de grippe espagnole est déclarée en 1918, le médecin, qui connaissait les techniques de quarantaine et de distanciation physique, a décidé de les appliquer dans la petite communauté. Il a proposé aux villageois d’appliquer toutes les mesures sanitaires qui, plus tôt, ont fait rager des francophones de Montréal pendant la variole de 1885… et la population mondiale d’aujourd’hui en ces temps de pandémie de COVID-19. On raconte que le village qui avait fait confiance au docteur Beetz a été complètement épargné par cette grippe pandémique. L’épidémie de grippe espagnole fera 50 000 victimes au Canada et proche de 15 000 au Québec. Mais Baie-Johan-Beetz n’aurait déploré aucun mort, contrairement aux autres villages de Minganie qui n’avaient pas appliqué de quarantaine.

L’histoire des épidémies est indissociable des boucs émissaires, des théories du complot, des fake news, d’accusations sans nuances de tous les bords et de tous ces comportements qui nous semblent sortir de la fracture sociale engendrée par la COVID-19. Ces clivages qui traversent nos sociétés sont du déjà-vu sous une autre forme. On impute souvent la faute à l’internet, mais ces dérives existaient bien avant l’autoroute électronique, et même avant les autoroutes tout court ! Comme le dirait un adepte des réseaux sociaux, c’est une vieille story. Plus ça change, plus c’est pareil. Je me demande d’ailleurs comment font les historiens qui voient que l’histoire se répète constamment pour ne pas en avoir plein leur dose ?

Pour ceux qui veulent pousser le sujet plus loin, en plus du bouquin de Denis Goulet, il y a aussi le livre de Sonia Shah intitulé Pandémie qui est une autre mine d’or en la matière.

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