Ces deux dernières semaines, on a vu les élus conservateurs relayer des faussetés sur les rayons des épiceries vidées par l’obligation vaccinale imposée aux camionneurs et soutenir sans nuance cette caravane dite de la liberté qui roule vers Ottawa. Une manifestation légitime qui a été malheureusement noyautée par des militants d’extrême droite et autres adeptes de théories du complot, y compris les thèses du grand remplacement de Renaud Camus.

Évidemment, le Parti conservateur, en léthargie depuis sa troisième défaite, se frotte les mains et affiche un sourire revanchard devant cette grande caravane qui mobilise désormais bien plus large que le 10 % de camionneurs qui ne sont pas vaccinés. L’ancien chef Andrew Scheer est même allé jusqu’à qualifier Justin Trudeau de « plus grande menace à la liberté au Canada ». Bref, même si les lieux de diffusion culturelle sont officiellement fermés, le spectacle se poursuit à Ottawa.

La vérité, disait mon grand-père, est comme le piment : elle pique les yeux, mais ne les crève pas. Alors, osons le dire, ce qui arrive maintenant n’est pas très surprenant. Je suis de ceux qui pensent que la décision d’imposer une vaccination obligatoire aux camionneurs est douteuse.

Au nom des risques de paralysie dans les systèmes de santé, on accepte que des infirmières puissent décliner le vaccin, mais les camionneurs qui œuvrent en solitaire dans un service essentiel doivent relever la manche de force ? Difficile de comprendre la logique qui guide cette décision.

La justification ne peut tenir au simple fait que les Américains aussi exigent cette preuve. Depuis quand faut-il que le Canada justifie une décision sur un dossier aussi sensible par le simple besoin d’être en phase avec une disposition américaine ? Si tel devait être le cas, pourquoi gaspiller de l’argent à Santé Canada dans de longues évaluations quand un médicament ou un vaccin contre la COVID-19 a déjà eu le feu vert des autorités de santé américaine ?

Justin Trudeau a instrumentalisé la vaccination dans une très malheureuse politique de division pendant les élections. Ce qui a contribué à élargir un fossé déjà présent dans la population. Maintenant que le torchon brûle, il doit encore s’isoler pour une histoire de contact avec un porteur du virus de la COVID-19 ? Un simple confinement ne devrait pas l’empêcher de faire face à la musique et de répondre aux questions. Que feront les libéraux devant cette créature qu’ils ont nourrie ?

Si la revendication première des camionneurs est légitime, les intentions cachées de ceux qui se sont greffés à cette caravane sont moins nobles. Alors, pour les conservateurs, le choix de s’associer sans nuance à ce cortège a sa part de risques. Malheureusement, lorsqu’on regarde aller leur chef ces derniers temps, on a presque envie de se demander où est son véritable plan pour faire de son parti une alternative crédible à la monarchie libérale qui se profile à l’horizon.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Erin O'Toole, chef du Parti conservateur

Par exemple, il y a deux semaines, Erin O’Toole est monté en chaire dans une vidéo pour accuser le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, de vouloir mettre fin à l’utilisation des énergies fossiles canadiennes d’ici deux ans. Là où Guilbeault parlait d’arrêter les subventions à l’industrie des hydrocarbures, O’Toole a relayé une fausseté dans un style qui n’a rien à envier au pape des fake news. À la façon de Donald, il parlait aussi à la frange de son parti qui se sent victime du système électoral canadien et marginalisée par ceux qu’elle considère comme des idéologues d’une crise environnementale fabulée.

Les temps sont durs pour les adorateurs des hydrocarbures. Aujourd’hui, quand vous êtes une province majoritairement conservatrice et que vous voyez encore les libéraux s’installer pour un troisième mandat avec le NPD détenant la balance du pouvoir, impossible de ne pas se demander ce que l’avenir vous réserve dans la fédération. En fait, tous les scénarios de gouvernements minoritaires sont potentiellement porteurs de mauvaises nouvelles pour les provinces pétrolières. Un Justin au pouvoir contrôlé par Jagmeet n’est pas une très bonne nouvelle pour l’Alberta. Un Erin surveillé par Yves-François n’était pas un scénario plus enviable pour Jason Kenney. Que faire quand ces deux possibilités de cohabitation sont désormais plus probables qu’un gouvernement conservateur majoritaire ? Il reste la radicalisation qui peut amener à se greffer à une manifestation de camionneurs pour faire valoir sa rancœur. Ce qui semble être le cas d’un des leaders de la caravane, l’Albertain Patrick King, cofondateur du mouvement Wexit Canada qui prône la séparation des provinces de l’Ouest du reste du Canada.

C’est ce risque de dérapage qui a poussé O’Toole à choisir de garder le silence au début de la caravane avant de changer d’idée et de sauter dans la mêlée. Les temps sont durs pour le chef conservateur. Son leadership est contesté et il sent le souffle de Pierre Poilievre sur sa nuque.

Depuis la troisième défaite conservatrice consécutive, il est de plus en plus difficile de comprendre où s’en va Erin O’Toole. À sa décharge, avec tous les groupuscules militants qui squattent les rangs des conservateurs, chacun transportant son propre programme, y dégager une zone de consensus est devenu une mission impossible.

Résultat, Erin veut à la fois lutter contre la crise climatique tout en faisant la promotion du pétrole ; il est pour les mesures sanitaires, mais doit ménager l’aile de son parti qui pense que l’économie et les libertés individuelles passent avant la santé collective ; il croit à la vaccination tout en détournant le regard des antivaccins qui logent dans les hautes instances de son parti ; il est personnellement pour le libre choix, mais a une dette envers Leslyn Lewis, figure de proue du mouvement pro-vie qui l’a aidé à devenir chef. Ajoutez à ces écartèlements déjà intenables le cha-cha-cha autour du contrôle des armes à feu et le vertige est presque inévitable.

Harcelé de tous les bords, Erin O’Toole tourne en rond pendant que d’autres complotent pour le mettre dehors. C’est comme ça que se passe chez les conservateurs. Après chaque défaite, on demande la tête du chef. Pourtant, pour pouvoir avancer, il leur faudra réaliser que le problème du parti est bien plus dans le véhicule que dans les chauffeurs désignés. Cette idéologie doit se renouveler si elle espère reprendre le pouvoir et rêver encore de majorité. Quand on s’y attarde, ce qui se passe dans la confédération aujourd’hui ressemble beaucoup au scénario qui se jouait chez nous avant l’arrivée de la Coalition avenir Québec. Ici, les libéraux n’avaient qu’à brandir le spectre référendaire pour garder le pouvoir. Mais un jour est arrivée l’option caquiste et on connaît la suite. De la même façon, lorsque se pointent les élections, l’équipe de Justin a toujours trois angles d’attaque qui font mouche contre les conservateurs : la crise climatique, le libre choix et le contrôle des armes à feu. Le dernier scrutin n’a pas fait exception, car, en plus de ses réponses évasives sur les mesures sanitaires, Erin O’Toole a passé beaucoup de temps à patiner sur ses liens potentiels avec le lobby des armes.

Maintenant que la droite est occupée par Maxime Bernier, entre trop tirer à gauche et devenir une pâle copie du Parti libéral et rester figé dans le temps avec des idées moyenâgeuses au niveau social et environnemental, les conservateurs devront trouver une quatrième voie de passage pour espérer revenir au pouvoir. Ce chemin de passage, je le vois chaque fois que j’écoute un gars comme Alain Rayes. Il est la preuve qu’on peut croire à une vision conservatrice de l’économie tout en restant dans la mesure, l’intelligence et l’ouverture. Si les conservateurs ne changent pas leur façon de faire, la prophétie de Justin risque de se réaliser. Souvenez-vous, à 48 heures de sa réélection, Justin Trudeau nous lançait cette missive à la fois prémonitoire et incompréhensible : « Je n’ai même pas presque fini de faire toutes les grandes choses que j’ai l’intention de continuer à accomplir avec les Canadiens… »

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion