Dans son plus récent billet d’éditeur adjoint, François Cardinal critique ceux qui ont refusé de consentir le titre de « Québécois » au nouveau directeur général du Canadien, Kent Hughes1. La critique est sans doute juste, mais elle fait néanmoins l’impasse sur l’histoire du mot « Québécois » et sur ce que son évolution dit de notre société actuelle. Qu’on me permette de poursuivre sa réflexion.

Au début du XXe siècle, lors des premières saisons du Canadien de Montréal, le terme « Québécois » était rarement utilisé. C’était le critère linguistique plutôt que l’appartenance au Québec qui marquait l’affiliation culturelle.

PHOTO ROGER ST-JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

But de Henri Richard contre les Bruins de Boston, le 27 mars 1955. Il fut un temps où le Canadien avait « le premier droit sur tout joueur canadien-français se trouvant sur le territoire de la ligue ».

Suivant cette logique, le Canadien de Montréal était l’équipe de ce qu’on appelait à l’époque les « Canadiens français ». Différents règlements en attestaient. Il fut un temps où l’un d’entre eux prévoyait que le Canadien ne pouvait « employer que des joueurs francophones ». Un autre que l’équipe avait « le premier droit sur tout joueur canadien-français se trouvant sur le territoire de la ligue ».

Au fil des décennies, nous avons tranquillement délaissé le vocable de « Canadien français » pour construire la référence nationale. C’était alors le mot « Québécois » qui nous définissait.

Un tel changement explique pourquoi l’importance d’avoir un directeur général ou des joueurs d’origine canadienne-française ne tient plus pour nos glorieux, alors que l’importance qu’ils soient québécois tient toujours.

La différence peut sembler mince, elle ne l’est pas du tout, car nul besoin de venir d’une famille canadienne-française pour être québécois. Si aujourd’hui, on s’accorde pour dire que Kent Hughes est un Québécois, à l’époque, il n’aurait pas été considéré comme un Canadien français. Personne ne regrettera cette époque.

Québécois : entre culture et citoyenneté

Ce que révèle donc cette petite polémique, c’est qu’une confusion existe avec le terme « Québécois », car il est parfois utilisé dans son acception civique et d’autres fois selon son acception culturelle. François Cardinal illustre cette confusion en mentionnant que le Canadien a présenté Kent Hughes comme « Montreal-born » en anglais et comme un « Québécois » en français.

Cette utilisation par l’équipe de communication du Tricolore et par les médias francophones du terme « Québécois » montre donc que nous avons une définition somme toute assez inclusive de ce mot.

Sans pour autant y enlever toute substance historique et culturelle, nous faisons maintenant fi, heureusement d’ailleurs, des distinctions entre origines ethniques.

C’est donc dire que pour autant qu’Untel accepte que le français soit la langue commune du Québec et qu’il s’identifie un tant soit peu à notre histoire et notre culture, nous sommes très heureux de le considérer comme l’un des nôtres.

Sans que ce soit dit comme tel, ceux qui ont critiqué la nomination de Kent Hughes reprenaient quant à eux la logique qui avait cours lorsque le CH était l’équipe des Canadiens français. À en juger par les réactions qu’elle a suscitées, cette logique semble bel et bien dépassée : il ne s’est trouvé à peu près aucune figure publique pour l’endosser.

Un peu de cohérence, s’il vous plaît

Tout en adhérant à l’usage qu’on fait aujourd’hui du mot « Québécois », je ne peux m’empêcher de voir les contradictions de notre époque.

D’un côté, nous écorchons les Québécois issus de la majorité historique francophone qui formulent des revendications linguistiques et culturelles comme ce fut le cas lors de cette controverse, mais de l’autre, nous encourageons ces revendications lorsqu’elles proviennent de minorités raciales. En effet, combien de fois avons-nous entendu qu’il manquait de personnes « racisées » sur tel plateau ou encore qu’il fallait faire place à la « diversité » dans tel milieu ? La condamnation à bon droit des premiers devrait nous pousser à traiter pareillement les seconds.

Disons-le autrement. Pendant qu’on brandit l’épouvantail selon lequel l’adjectif « québécois » pourrait être exclusif, ce qui manifestement n’est pas le cas, nous valorisons des identités raciales qui, elles, le sont réellement.

La seule manière de transcender nos appartenances particulières est de nous rassembler sous la nation, et le nom de « Québécois » nous le permet. Loin d’être un frein à notre capacité à dire « nous », il est le seul moyen d’inclusion véritable.

1. Lisez le texte de François Cardinal « Kent Hughes est-il québécois ? » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion