Enquêtant sur la Sûreté du Québec, la commission Poitras rappelait en 1998 que « les forces policières ont été créées non pour lutter contre les lois, mais bien pour les appliquer. Les policiers ne peuvent donc se complaire dans une attitude réactive, pour ne pas dire réactionnaire. Les valeurs de la Charte [canadienne] sont à affirmer. Les corps de police doivent les promouvoir ! ».

Pour légitimer des actions déviantes et gonfler la confiance de tout un chacun, certains policiers utilisent parfois des arguments trompeurs. En proposant de changer les règles du jeu face aux criminels à cravate, aux politiciens véreux et aux fonctionnaires corrompus, le commissaire de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) Frédérick Gaudreau fait diversion.⁠1

En conférence de presse le 9 novembre dernier concernant la gestion de l’UPAC, le commissaire a pris acte d’un jugement accablant rendu dans l’affaire de l’ex-maire de Terrebonne. Le tribunal critique sévèrement le travail des enquêteurs (notamment le n2 de l’UPAC) et des procureurs de la poursuite.

Questionné à propos de l’enquête Machurer (active depuis huit ans), le n1 de l’UPAC l’a qualifiée d’« éléphant dans la pièce ». M. Gaudreau expliquait devoir tenir compte d’un « univers de considérants juridiques ».⁠2

Deux mois plus tard, le commissaire a ratissé large. Ce serait l’augmentation exponentielle du volume de données saisies en enquête et « l’omniprésence des avocats protégés par le secret professionnel au sein des entreprises visées, la complexification du processus de divulgation de la preuve et la nécessité de juger les accusés dans un délai rapide » qui sclérosent le travail de l’UPAC.

Cette justification ne saurait expliquer la lenteur de l’enquête Machurer. Le volume des choses saisies est minimaliste et plusieurs centaines de témoins furent rencontrés ; quelques-uns à deux reprises.

Enfin, sur l’impact négatif des fuites d’informations policières récurrentes provenant de l’UPAC et des interminables enquêtes connexes, le commissaire Gaudreau entretient un silence profond.

Selon la Cour suprême⁠3, le juge a l’obligation d’agir à titre de gardien de la Constitution et des droits conférés aux citoyens. Cela étant, une gestion proactive de la magistrature permet d’assouplir l’administration de la justice.

Dans notre système, toute règle de droit fondée sur un principe appelle au débat contradictoire. Bien qu’il puisse allonger une instance, le droit procédural assure des garanties aux justiciables. Son respect a figure de moralité interne du jeu légal.

Pour l’essentiel, le rallongement de certains dossiers survient à l’étape des moyens préliminaires, soit avant l’administration de la preuve au procès. La hantise de l’erreur fait en sorte que des juges permettent aux procureurs de scruter soigneusement la légalité des preuves colligées par la police.

Au moindre contrecoup, l’interruption du processus est parfois requise pour vérification, réplique ou contradiction. Cela pourrait être raccourci. Occupant une position de bascule entre les parties, le juge doit revêtir ses habits de gestionnaire, d’arbitre et de décideur.

Dans les affaires judiciaires longues et complexes, la divulgation de la preuve reste un terrain miné. En 2006, un organisme fédéral consultatif ⁠4 opinait que l’essentiel (et non l’entièreté) de la preuve à charge devrait être remis à l’inculpé en liberté un mois après le dépôt de l’accusation. Pour un détenu, le délai ne devrait pas excéder 14 jours.

Il n’y a pas de confidence sans confiance et pas de confiance sans secret. Le secret professionnel de l’avocat découle du droit d’un citoyen d’avoir des rapports confidentiels avec un conseiller juridique.

Selon la Cour suprême, le secret professionnel de l’avocat est fondé sur les besoins fonctionnels de l’administration de la justice. La complexité du système juridique exige une expertise professionnelle. L’impossibilité d’obtenir des conseils juridiques mettrait en péril l’accès à la justice.⁠5

L’attaque frontale sur le secret professionnel des avocats menée par le commissaire de l’UPAC est vouée à l’échec. Néanmoins, dans l’intérêt public, souhaitons-lui un vif redressement de son organisme.

1. Lisez « L’UPAC veut changer les règles du jeu » 2. Écoutez « Rapport de l’UPAC : Trois ans pour mettre fin à la “crise de confiance" »

3. R. c. Auclair, 2014 CSC 6 (CanLII)

4. Consultez le rapport du Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice

5. R. c. Campbell, [1999] 1 RCS 565

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