Dans une fédération comme le Canada, les ordres de gouvernement central et provincial se partagent les compétences de l’État. Dans plusieurs dossiers, les deux peuvent gérer leurs propres affaires sans devoir négocier quoi que ce soit avec l’autre.

Or, lorsqu’intervient une crise d’une ampleur comme celle que l’on traverse – hélas ! – toujours en ce moment, il est inévitable que les partenaires collaborent, afin d’établir un plan de match cohérent et global. L’essentiel de cette coopération passe par ce qu’on appelle les relations intergouvernementales. Mais à quoi fait-on référence exactement ? Et quelles leçons pouvons-nous tirer à la lumière des deux dernières années pour améliorer l’organisation des relations intergouvernementales au pays ?

Coopérer dans un système fédéral

De manière un peu schématique, on peut distinguer entre les relations intergouvernementales de nature verticale et celles qui sont de nature horizontale. Les premières concernent l’ensemble des pratiques, mécanismes et institutions en fonction desquels les acteurs clés du gouvernement fédéral et d’une ou plusieurs provinces en viennent à coopérer pour gérer divers aspects de la vie politique au pays. Ces échanges réunissent des premiers ministres ou des ministres ou encore des hauts fonctionnaires, et servent à faire le point sur une panoplie d’enjeux (environnement, immigration, santé, etc.). Les relations intergouvernementales verticales peuvent inclure des représentants du fédéral et de toutes les provinces, ou encore le fédéral et une seule ou quelques provinces.

En ce qui a trait aux relations dites horizontales, celles-ci impliquent certaines provinces ou toutes les provinces, mais pas le fédéral (un représentant de celui-ci peut parfois être invité, mais comme observateur seulement). Enfin, les municipalités et les territoires nordiques sont aussi parfois appelés à faire partie de l’une ou l’autre de ces rencontres.

En s’inspirant des travaux de ma collègue Johanne Poirier⁠1, on peut dire que dans tout système fédéral, les relations intergouvernementales sont à la fois omniprésentes, qu’elles s’adaptent au contexte dans lequel elles prennent forme et qu’elles sont essentielles au bon fonctionnement de la démocratie fédérale.

En même temps, ces rencontres sont opaques, en ce qu’elles se déroulent typiquement derrière des portes closes et souvent de manière informelle entre les partenaires de la fédération. De plus, elles tendent à renforcer le pouvoir des exécutifs aux dépens des Parlements.

En effet, des ententes intergouvernementales aux effets politiques spectaculaires peuvent être conclues entre deux gouvernements et leurs fonctionnaires, mais sans que le tout ne soit supervisé par les partis de l’opposition, les médias ou même les tribunaux.

Un maillon faible

Il est commun en politique canadienne de considérer les relations intergouvernementales – surtout celles verticales – comme le « maillon faible » de notre système fédéral, pour reprendre l’expression de Martin Papillon et Richard Simeon. Cela est dû au fait que son principal forum, la Conférence des premiers ministres, est très peu institutionnalisé et que rien n’oblige le premier ministre du pays à l’invoquer sur une base régulière. Ainsi, durant les années où Stephen Harper était à la tête du gouvernement fédéral (2006-2015), seulement deux Conférences des premiers ministres furent organisées.

Qui plus est, le premier ministre fédéral fixe seul l’ordre du jour lorsqu’il décide d’y convoquer les partenaires des provinces, tout comme il a le loisir d’interpréter à sa manière l’issue des discussions.

C’est dans le but de rééquilibrer les rapports de force dans ce domaine que fut créé en 2003 le Conseil de la fédération⁠2, sous le leadership du premier ministre du Québec, Jean Charest, et de son ministre des Affaires intergouvernementales, le constitutionnaliste Benoît Pelletier. Le Conseil de la fédération est un forum de nature horizontale, qui permet parfois aux provinces de faire front commun face au fédéral. Les premiers ministres provinciaux la président à tour de rôle et décident ensemble de l’ordre du jour des rencontres.

Les leçons de la pandémie

Depuis le début de la pandémie, il ne s’est pas passé une semaine sans qu’il n’y ait de relations intergouvernementales (horizontales et verticales, en présentiel, mais surtout de manière virtuelle). Les décoder demeure toutefois extrêmement complexe, car nous n’avons accès qu’à une infime partie de ce qui est négocié et décidé à huis clos par nos dirigeants.

Sans contredit, cela autorise de nombreuses innovations dans le développement des politiques publiques et permet d’avancer plus rapidement, en escamotant le processus parlementaire. Néanmoins, alors que nos pratiques parlementaires en ont pris pour leur rhume depuis le début de la pandémie, où nos dirigeants ont pu gouverner par décrets, il serait peut-être temps pour le Canada de moderniser ses principaux forums intergouvernementaux (notamment la Conférence des premiers ministres), afin de les rendre plus réguliers, structurés, collaboratifs et, surtout, plus transparents.

Si la pandémie illustre à quel point les relations intergouvernementales sont un rouage essentiel au bon fonctionnement de la fédération en temps de crise, elle montre aussi la fragilité de certaines de nos pratiques démocratiques. Et ce qui est fragile, on doit chercher à le protéger !

1. Consultez le chapitre de Johanne Poirier en libre accès 2. Lisez l’entente fondatrice Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion