Enfant, je me souviens des références de mon père au délestage. Il était ingénieur chez Hydro-Québec. Lors de tempêtes hivernales majeures dans les années 1970 (comme on n’en connaît plus), il y avait d’importantes pannes d’électricité. Et mon père devait, avec ses collègues, comme il me l’expliquait à l’époque, procéder à du délestage pour préserver l’intégrité du réseau électrique en enlevant le service à certains, pour des périodes plus ou moins prolongées.

Le vocabulaire de mon père a résonné dans ma tête cette semaine. Précarité du réseau. Réduction des services. Il me semble que les patients sont, dans ce cas de figure, des abonnés d’Hydro-Québec espérant ne pas devoir subir une perte d’approvisionnement en raison de la fragilité du réseau de la santé. Mais il y a une variante significative. En délestage d’électricité, il y a tentative de maintenir un service minimal pour la majorité, en préservant le service aux sites les plus susceptibles d’avoir des effets nocifs et délétères d’une panne de courant. Les hôpitaux. Les CHSLD. Les stations de pompage d’eau. Rappelons-nous la gestion de la crise du verglas il y a un peu plus de 25 ans.

En ce moment, nous voyons un réseau de la santé essentiellement inféodé aux soins aux patients aux prises avec la COVID-19. Il semble que le délestage ne les touche pas. Alors que toutes les autres catégories de patients souffrent de délais potentiels ou avérés de leurs investigations et soins, l’État a converti le réseau de la santé en un lieu de diagnostic de la COVID-19 et d’hospitalisation pour ceux qui en souffrent le plus. Plus de 3000 lits, environ la moitié des lits du Québec et des ressources humaines. Sans compter les intentions gouvernementales de créer des ressources pour la gestion de la COVID longue.

Et les autres pendant ce temps ? Le compteur électrique a cessé de tourner ou tourne au ralenti pour plusieurs. Il faut rapidement les rebrancher au réseau, fournir toute l’énergie pour leur permettre de profiter de soins. Augmenter le voltage pour prendre le pas sur tous les déficits d’attention depuis 24 mois.

Non pas qu’il aurait fallu laisser pour compte les patients avec la COVID-19, mais la démonstration est belle quant au fait que le Québec gère en fonction de l’émergence de crises et profite peu d’une planification cohérente des soins de santé. À titre d’exemple, la Colombie-Britannique profite d’une agence du cancer depuis 1938 ! Rien de tel au Québec. Cette province a aussi des données depuis 1969 sur chaque patient ayant eu le cancer, sur les traitements donnés et sur les effets de ce traitement sur la survie des patients avec cancer ! À ce jour, le Québec n’est même pas capable de répertorier adéquatement les cas de cancer sur son territoire, leur stade, les traitements qui sont donnés. Imaginer le manque de capacité d’adaptation conséquente quand on ignore l’état réel de la situation des cancéreux québécois, surtout alors qu’on réduit les soins et que l’on doit aussi planifier une reprise des soins lorsque le réseau sera moins fragile.

Parce qu’on doit aussi le dire : le réseau ne sera pas solide après la COVID-19.

Les fondations sont de trois ordres et deux d’entre elles sont précarisées depuis des années, bien avant la COVID-19. La première assise est la compétence des professionnels du réseau. Je ne pense pas qu’il y a raison de craindre à cet égard.

Nos médecins et autres professionnels sont bien formés, selon des normes provinciales, canadiennes, internationales et plusieurs ont des capacités sous-estimées et sous-utilisées par le réseau québécois. La seconde est la capacité technique. L’équipement médical québécois est probablement insuffisant, mais est technologiquement suffisamment à jour pour permettre des interventions en lien avec la littérature récente. La troisième assise est la direction globale du réseau. Bien que de nombreux cadres et dirigeants de tout niveau soient compétents, la gestion globale de la santé est déficiente, trop souvent politique. Et ce alors que les données spécifiques attribuables à la population québécoise sont manquantes pour décider des quantités de soins, pour entrevoir l’innovation nécessaire, pour qualifier les spécificités qui devraient nous amener à transformer notre offre de soins.

La COVID-19 nous a malheureusement démontré que nous avons fait moins bien qu’ailleurs au Canada. Plus de décès par habitant. Plus d’hospitalisations globalement. Plus de cas. Cela devrait nous amener à déterminer pourquoi nous faisons moins bien plutôt que de chercher de plates excuses.

Quand Hydro-Québec fait du délestage, elle sait combien d’abonnés sont touchés et peut estimer la période nécessaire pour redonner accès à l’électricité, connaît aussi la quantité d’énergie à produire pour combler la demande. Je n’ai pas l’impression que dans les annonces actuelles de délestage, le gouvernement et le ministère de la Santé et des Services sociaux dénombrent les cas en attente ou proposent une façon de leur offrir un retour à un accès à des soins suffisants et compétents. Vivement une Hydro-Québec de la santé, ce qui est réclamé par plusieurs depuis longtemps !

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