Je n’ai pas de médecin de famille depuis plus de quatre ans, je suis un largué du système. Selon les chiffres officiels, nous sommes au moins 800 000 au Québec dans cette situation. Probablement plus.

Mais entre vous et moi, même si j’avais un médecin de famille, cela ne ferait pas une très grande différence dans les circonstances actuelles. Prendre rendez-vous avec son médecin est désormais un parcours du combattant et si d’aventure on vous découvrait un grave problème de santé, bonne chance pour passer tous les tests requis et, surtout, pour obtenir un traitement.

Je suis un largué du système de santé, mais il y a pire que moi. Pensons à toutes ces personnes âgées qui vivent seules dans un petit appartement et même parfois dans une grande maison vide.

Il y a quelques années, des passants ont aperçu une nuée de mouches dans la fenêtre du salon d’une maison cossue d’Anjou. Dans la maison, on a trouvé les restes d’un vieux couple dont les deux corps gisaient en état avancé de décomposition. Et réalisé que leur entourage… n’existait tout simplement pas. Combien y en a-t-il comme eux au Québec ?

Et il y a tous ces autres largués : les sans-abri, les déficients intellectuels, les malades mentaux. Je sais, ce n’est pas joli de nommer ainsi les schizophrènes, psychotiques et autres grands handicapés émotionnels. Mais c’était encore moins joli de les abandonner à eux-mêmes comme nous l’avons fait depuis 40 ans avec la désinstitutionnalisation. Les plus jeunes n’ont peut-être jamais entendu ce mot auparavant. Pour résumer, la désinstitutionnalisation fut cette opération par laquelle on a vidé les hôpitaux psychiatriques au début des années 1980 sous prétexte de redonner de la dignité à des gens gardés depuis des années en institution, mais en réalité pour épargner de l’argent au système qui déjà souffrait de sous-financement. La désinstitutionnalisation, c’était ni plus ni moins du « délestage » avant que le mot ne devienne à la mode.

L’art de détourner l’attention

Les largués du système, c’est donc une vieille réalité au Québec, un Québec certainement moins solidaire qu’aime le faire croire notre premier ministre depuis les débuts de la pandémie. Ce qui toutefois fonctionne encore très bien au Québec, ce sont les campagnes de communication. La tendance en relations publiques semble être de répéter les mêmes mensonges dans l’espoir qu’ils deviendront réalité et, surtout, détourneront l’attention d’une population dont c’est le principal déficit, plus important même que le déficit gigantesque construit par les gouvernements pour lutter contre la pandémie.

Cette campagne de communication nourrie par des conférences de presse solennelles se fait à coups de slogans, comme celui de notre supposée solidarité. Elle montre aussi du doigt les responsables de la situation : les non-vaccinés complotistes. Ils seraient des centaines de milliers de non-vaccinés responsables de notre naufrage collectif, ce qui sous-entend des ennemis du peuple. Ils seraient plus ou moins responsables de 50 % des lits occupés dans les hôpitaux. Le témoignage des médecins qui travaillent sur le terrain est toutefois beaucoup plus nuancé. Ceux-ci parlent de gens souvent pauvres, démunis, parfois analphabètes.

Une bonne partie des patients non vaccinés auraient donc un profil semblable à ces largués du système dont je parlais plus haut. Ce ne sont pas des abonnés aux réseaux sans fil, mais des abonnés au réseau sans fils, sans famille et sans personne.

S’il est vrai que nous sommes en guerre contre le virus, il faut alors reprendre ces mots célèbres de Kipling : « La première victime de la guerre, c’est la vérité. » Et il y a fort à parier que la dernière idée de notre premier ministre pour nous sortir du pétrin, imposer une taxe aux non-vaccinés, s’inscrit dans cette logique. Elle ira d’ailleurs prendre le même chemin que celle d’obliger la vaccination des employés du système de santé : la filière 13.

Un bon nombre des largués du système ont ceci en commun d’être pauvres et non solvables. À quoi bon essayer de les « cotiser » davantage. Et ce sera probablement la même chose avec l’obligation vaccinale, si on en arrive un jour à cela. La vaccination obligatoire se heurtera aux mêmes difficultés que la volonté de pénaliser les largués du système. Vous voulez les isoler davantage ? Mais c’est justement le drame de ces personnes, d’être trop isolées. C’est souvent en raison de cet isolement qu’elles ne sont pas vaccinées. Et s’il y a « complot », ce n’est probablement pas le leur, mais le nôtre de les avoir ainsi tenus en marge de la collectivité. Sans soins et sans recours.

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