Cette dernière vague de pandémie nous oblige à redéfinir collectivement les priorités qui permettront, au meilleur de nos connaissances, d’assurer une bonne suite aux choses. Nous savons désormais que la conjoncture sanitaire que nous souhaitions temporaire représente un état potentiellement durable dont nous devrons forcément nous accommoder.

Les effets délétères des mesures imposées aux enfants, aux adolescents et à leurs familles ne sont plus à démontrer. Aux premiers temps des urgences sanitaires, les craintes que nous avions en tant que pédiatres relevaient davantage de l’expérience et de l’intuition ; aujourd’hui, de nombreux écrits soutiennent malheureusement l’essentiel de nos inquiétudes : détresse psychologique, démotivation, troubles alimentaires, retards scolaires, obésité, usage pathologique des écrans, détresse familiale…

Bientôt, des jeunes auront vécu la moitié de leur adolescence à restreindre leurs contacts sociaux alors que c’est habituellement avec leurs pairs, en explorant au-delà du nid familial, qu’ils se définissent et se construisent pour leur avenir. Ça ne repassera pas, on ne grandit pas autrement. Pourtant, nous continuons de priver la jeunesse d’éléments développementaux phares que nous ne pourrons jamais lui rendre. La rentrée scolaire en présentiel en septembre dernier a été accompagnée d’une nette amélioration de la santé mentale et émotionnelle des adolescents. Il est maintenant capital de considérer la fréquentation scolaire continue, ainsi que l’ensemble de ses attributs, comme un service essentiel, une valeur fondamentale qui construit le bien public.

Nous ne nions pas que la situation du réseau hospitalier est extrêmement précaire, que ce que nous considérions comme acquis – l’accessibilité à des soins de santé de qualité – est ouvertement menacé. Nous devons, avec détermination, soutenir la lutte contre le raz-de-marée causé par Omicron. Vaccination, mesures barrières, diminution des contacts continueront de rythmer notre quotidien. Mais le tribut ainsi exigé de nos enfants est actuellement démesuré et ne doit en aucune façon être toléré plus longtemps.

Nous devons mettre à l’abri les plus vulnérables contre la COVID-19, mais notre responsabilité, qui est aussi celle de la Santé publique, est également de protéger la nouvelle génération d’une situation qui ne peut plus perdurer.

Dans les vagues rencontrées jusqu’à présent, les écoles n’ont jamais représenté le principal moteur de la pandémie, mais ont été le reflet de la transmission communautaire, ce qu’elles ne cesseront pas d’être avec leur réouverture. L’heure n’est ni aux illusions ni aux arcs-en-ciel. Par ailleurs, les données les plus récentes sur le variant Omicron nous indiquent que s’il est substantiellement plus contagieux, il est également moins virulent que son prédécesseur Delta. Les symptômes induits chez les enfants atteignent davantage les voies respiratoires supérieures, avec une force comparable à nombre d’autres infections hivernales, très rarement avec d’autres complications. Davantage d’enfants sont actuellement hospitalisés au Québec avec la COVID-19, mais surtout en raison du très grand nombre d’enfants touchés par Omicron. La moitié de ces enfants ne sont pas hospitalisés en raison des symptômes de la COVID-19, mais plutôt en raison d’une découverte fortuite au dépistage ou d’une condition sous-jacente nécessitant une surveillance accrue.

Les virus de l’ère pré-COVID

Avant l’arrivée du SARS-CoV-2, de nombreux virus rythmaient déjà les hospitalisations saisonnières en pédiatrie. En été, les entérovirus entraînent le pieds-mains-bouche, causent régulièrement des méningites virales et plus rarement des myocardites chez les jeunes bébés. En saison hivernale, la gastro-entérite se répand allègrement dans les classes et envahit nos étages pédiatriques. Le virus respiratoire syncitial et l’influenza amènent chaque année des centaines d’hospitalisations, plusieurs dizaines d’enfants nécessitant un passage aux soins intensifs, et on rapporte annuellement au Québec entre un et trois décès pédiatriques liés à la grippe. En tout temps, des adolescents contractent la mononucléose et nombre d’entre eux développent la forme prolongée de la maladie, avec fatigue intense et absentéisme pour de nombreuses semaines d’école.

Même si la COVID-19 est un virus dangereux dont il faut se méfier, force est de constater que ses effets sur la population pédiatrique s’apparentent à bon nombre de nos virus communs.

Après 23 mois de pandémie, dans cette longue guerre qui nous oppose à la COVID-19, nous devons retirer de notre arsenal la possibilité d’interrompre la vie scolaire, sociale et sportive de nos enfants. Nous leur devons un réel retour à la normale, sans compromis, et ce, dès le 17 janvier, en dépit du délestage et des hospitalisations à la hausse.

Une meilleure disponibilité des tests rapides permettra de tester et de retirer les enfants symptomatiques et leurs contacts positifs, tout en gardant les classes ouvertes. La durée de l’isolement fixée à cinq jours aura moins d’impact pour les enfants infectés. La poursuite de la vaccination prioritaire du personnel scolaire, ainsi que celle des parents ou des fratries à risque, permettra une protection imparfaite, mais optimale.

Après deux ans sans scolarisation régulière ou dans des conditions non optimales, la vie doit reprendre ses droits sur la survie, l’éducation sa place de choix au-delà de l’adaptation, pour le bien des enfants, pour leur futur, qui est aussi le nôtre.

*Cosignataires : Marie-Claude Roy, pédiatre membre de l’Association des pédiatres du Québec ; Jean-François Chicoine, médecin et pédiatre, CHU Sainte-Justine ; Alexander Sasha Dubrowsky, médecin et secrétaire de l’Association des pédiatres du Québec

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