Avant de commencer ce texte, je voudrais nous souhaiter à tous une année 2022 avec moins de turbulence sanitaire. Je souhaite que la miséricorde évolutive habite le variant Omicron et qu’il devienne ultimement porteur d’un armistice plus durable entre le virus et l’humanité. Mais pour cela, encore faut-il se serrer les coudes durant la périlleuse traversée des mois de janvier et février – surtout pour le système hospitalier, qui commence à vaciller et dont le personnel trime si fort pour la santé de tous.

Je voudrais aussi dire qu’on a beau accuser les réseaux sociaux d’être de plus en plus asociaux, ils peuvent devenir de formidables plateformes au service de la bienveillance. Tout dépend du comment et du pourquoi on en fait usage. Si chez les hommes des cavernes, la lumière du feu faisait fuir les bêtes, chez beaucoup d’humains modernes, la lumière de l’écran fait fuir l’ennui. Pendant que Facebook propose de rédiger sa biographie avant même d’être célèbre, Twitter nous impose de la résumer en quelques mots… et Instagram rappelle qu’une image vaut mille mots ! Dans l’espoir qu’on nous éclaire, on demande à l’un et à l’autre de nous suivre sans trop savoir où on va. Voici venu le temps où on enseigne aux enfants à passer de non influençables à influenceurs. Dans nos réseaux sociaux, on est passé de la saveur du mois à la personnalité de la semaine, au buzz du jour pour finalement arriver à la vedette de l’heure. Si ça continue, je parie qu’ils vont couper dans nos 15 minutes de gloire !

Pas surprenant alors qu’aujourd’hui, pour attirer l’attention sur ces plateformes, il faille innover, choquer, provoquer, heurter, harceler, insulter, intimider. Même que, pour une poignée d’abonnés de plus, beaucoup ne tardent pas à dépasser les bornes !

Si la notoriété poussait au sommet des grands arbres, certains n’hésiteraient pas à lécher le cul d’un chimpanzé pour les aider à l’atteindre.

Les récentes frasques des quelques starlettes de téléréalités et autres influenceurs dans un avion en destination du Mexique en sont la preuve. Toute cette agitation de têtes en l’air avait pour but de braquer la lumière sur ce groupe que Trudeau a qualifié de bande de sans-desseins. Dans cette carlingue virée à l’envers, tous les éléments étaient réunis pour que la presse fasse de cet évènement un succès planétaire. L’organisateur avait d’ailleurs raison de mentionner sur Twitter que ça valait le coup. Mon petit doigt me dit qu’en préparant cette rumba aérienne, tous ces Ostrogoths accros aux likes savaient que le fait de risquer d’être mis à l’index en montrant son majeur aux mesures sanitaires rapporterait bien des pouces en l’air !

Même si l’algorithme de Facebook s’est fait beaucoup montrer du doigt ces derniers temps, force est d’admettre qu’il n’offre aux utilisateurs que ce qui fait vibrer la majorité. Pourquoi ces programmes favorisent-ils davantage le mal et l’incivilité plutôt que le bien et la gentillesse ? Pour la même raison que ce party planifié de jeunes avides de followers a eu un énorme succès. On ne sait pas ce que leur réserve la suite, mais l’objectif – toujours plus de visibilité – est atteint. Facebook sait que chez l’espèce humaine, le voyeurisme paie. Le plaisir coupable de zieuter de la peau, de regarder le malheur des autres ou de les voir piétiner la loi… tout cela paie !

Nombreux sont les gens qui se réjouissent devant le sang des combattants qui se font défaire dans le ring et s’offusquent quand d’autres laissent aller leur violence verbale dans les réseaux sociaux.

Admettons-le, ceux qui montent sur un ring choisissent de le faire, mais ce qui s’y passe est indéniablement violent. Il est important aussi de se rappeler que, parfois, monter sur un ring peut être une façon de s’offrir en pâture au profit de voyeurs privilégiés pour trouver de quoi manger et nourrir sa famille. Rappelons-nous du sort de la jeune boxeuse mexicaine Jeanette Zacarias Zapata.

Lorgner la violence ou l’incivilité est un plaisir coupable chez beaucoup d’humains. Lancée dans les réseaux sociaux, la phrase « Boucar a pété la yeule à son grand-père » générerait mille fois plus de réactions que « Boucar rend hommage aux personnes âgées ». « Boucar a pété la yeule à son grand-père », c’est un leurre à émojis fâchés, une trappe à gifs animés de chatons indignés ! Mais, bizarrement, « Boucar a pété la yeule à son grand-père » susciterait aussi des signes d’appréciation, dont des pouces en l’air et des cœurs de la part de certains sans-cœurs sans gêne et sans génie des réseaux sociaux. Pour celui qui cherche à profiter de l’élan de cette publication, il suffit de la faire partager rapidement à sa communauté pour voir d’autres curieux se pointer et lui témoigner de l’intérêt pour ses activités.

Alors, comme le courageux chasseur-cueilleur d’autrefois qui ramenait au village la carcasse d’un cerf de Longueuil, le relayeur se sent important dans son clan numérique, et son cerveau jubile sous l’effet de la dopamine. Facebook n’a fait que donner une tribune au plaisir coupable de l’humanité pour la médisance, le dénigrement et autres mémérages qui, selon l’anthropologue et psychologue évolutionniste britannique Robin Dunbar, sont des façons de pactiser avec ceux qui pensent comme nous.

Colère, indignation, ressentiment, méchanceté, misogynie, racisme, détestation, discrimination, incivilité, grossièreté et les incontournables vidéos de chats sont les meilleurs vendeurs des réseaux sociaux. Je nous souhaite à tous de résister à ce côté obscur de la force et d’avoir le courage de le dénoncer. Sauf évidemment pour les vidéos de chats qui jouent du piano et font du karaté. Comme mon titre flirte aussi un peu avec ce côté obscur de la force, je suggère d’amorcer le virage la semaine prochaine.

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