C’est quand même incroyable de voir la joie que procure la simple condamnation d’un gars que toute la planète voyait déjà comme un meurtrier. Je ne reviendrai pas ici sur ces images et le visage de cet homme sans compassion qui semblait se réjouir à regarder George Floyd s’asphyxier sous son genou.

PHOTO JIM BOURG, ARCHIVES REUTERS

La diminution du nombre d’urnes installées dans les rues, appelées « drop box », est l’une des stratégies républicaines pour empêcher l’expression du vote des Afro-Américains.

Oui, Derek Chauvin va en prison, mais avant lui, des centaines de crimes de ce genre sont restés impunis. Puis après, est-ce qu’il y aura un changement durable ? Sans reparler de ce procès qui a fait couler beaucoup d’encre, je voulais aborder un sujet qui ne fait malheureusement pas les manchettes, parce qu'il est moins spectaculaire. Cette autre problématique, c’est le racisme politique sournois qui se déploie comme une pieuvre en Amérique, surtout depuis que Trump a fait basculer de façon décomplexée le Parti républicain vers le suprémacisme et les théories de remplacement de populations. Vous savez, ces statistiques qui racontent que dans tel ou tel nombre d’années, les Blancs dits de « souche » ne formeront plus la majorité absolue en Amérique. Ces thèses provoquent une anxiété existentielle chez beaucoup d’électeurs républicains. Une angoisse identitaire devant laquelle les politiciens cherchent des solutions de remplacement, dont certaines sont inspirées directement des pratiques remontant au temps de la guerre de Sécession.

Aujourd’hui, les républicains consacrent beaucoup de temps et de stratégies à trouver des façons d’empêcher les Noirs et d’autres minorités moins sensibles à leurs propositions de voter. Ils ne lésinent sur aucune bassesse pour mettre des embûches sur la route de ces électeurs.

Il faut dire que ce système de « crosses » n’est pas récent. Ces arnaques politiques vieilles comme le monde visant à empêcher les minorités d’exercer leur droit de vote changent simplement de visage et reviennent sous une autre forme. De la fin du XIXsiècle jusque dans les années 1960, les États du Sud ont voté une panoplie de dispositions connues sous l’appellation de lois Jim Crow pour empêcher les Afro-Américains de voter. Parmi ces législations racistes, on trouvait même des tests d’alphabétisation. Pas de votes pour ceux et celles qui ne sont pas alphabétisés. Que dire aussi des taxes de vote d’autrefois destinées à décourager les plus pauvres de se rendre aux urnes ?

ILLUSTRATION JANE ROSENBERG, REUTERS

Derek Chauvin lors de la lecture du verdict de culpabilité

Aujourd’hui, pendant que les Américains avaient les yeux rivés sur le procès de Derek Chauvin, ces lois se métamorphosent et reviennent en force. Les spécialistes de la chose rapportent qu’il se mijote quelque 250 projets de lois qui pourraient limiter l’accès au vote dans plus de 40 États américains sur 50. Le comble du racisme et de la discrimination se trouve dans ces dispositions.

Que font les républicains pour empêcher l’expression du vote des Afro-Américains ? Ils diminuent le nombre d’urnes installées dans les rues, appelées « drop box ». Ils changent aussi leurs horaires d’ouverture, renforcent et compliquent les contrôles d’identité pour décourager les votes par correspondance. Tout ce qui peut décourager les électeurs potentiellement défavorables à leur proposition est mis sur le chemin qui mène à l’urne. Ils ont même interdit de donner de la nourriture et de la boisson aux gens qui se retrouvent dans de longues files pour voter. S’ils ne peuvent contrer la faim, ils vont finir par rebrousser chemin. Telle est l’idée derrière cette stratégie électorale de restriction alimentaire imaginée par les républicains en Géorgie, sous la houlette du gouverneur Brian Kemp. Évidemment, le sympathique Donald a adoré ces initiatives antidémocratiques et racistes. Il a même félicité la Géorgie d’avoir tiré les leçons de ce qu’il appelle encore la mascarade électorale de 2020 qui lui a fait perdre cet État. Donald a aussi trouvé dommage que ces changements ne soient pas arrivés plus tôt ! Autrement dit, si on avait coupé la route des élections aux troupes de Stacey Abrams, la très active et influente politicienne démocrate de la Géorgie qui a aidé à faire élire deux sénateurs démocrates dans ce bastion américain de la tradition ségrégationniste, il serait encore au pouvoir aujourd’hui.

À l’extérieur de la Géorgie, d’autres techniques de blocage sont expérimentées dans divers comtés. Éloigner les bureaux de vote pour empêcher des électeurs non véhiculés de se rendre ; mettre des bâtons dans les roues des étudiants qui veulent voter ; légiférer pour empêcher les anciens prisonniers de retrouver le droit de vote ; exiger de ces anciens détenus de rembourser leur dette à la société avant d’espérer participer à l’exercice démocratique ; réduire le nombre de bureaux de vote pour faire durer l’attente des électeurs dans les interminables files : tous les moyens nébuleux et discriminatoires sont bons pour freiner le vote des minorités moins sensibles à la vision républicaine de la société.

Il y a aussi cette technique de découpage avantageuse des comtés appelé gerrymandering qu’il ne faut pas oublier. Cette escroquerie politique consiste à découper et faire serpenter les limites des comtés sur une carte électorale de façon à amoindrir le poids électoral des Afro-Américains et d'autres minorités pour donner plus de pouvoir au vote acquis aux républicains. Cette vieille arnaque est encore très utilisée pendant les élections autres que les présidentielles.

Toutes ces manœuvres électorales sordides ont pour objectif de maintenir les minorités dans une position de citoyens de seconde zone bien loin du pouvoir.

Au lieu de tendre une main inclusive à la diversité pour élargir leurs rangs, les républicains se rabattent sur ces honteuses méthodes dignes du temps des plantations de coton. Pour s’attaquer durablement au racisme qui gangrène la société américaine, il faudrait aussi redéployer une grande partie de l’énergie militante vers l’action politique, surtout en ces temps où les disciples du gourou nommé Donald Trump flirtent ouvertement avec le suprémacisme.

Permettez-moi de rappeler encore que lorsque les disciples entendent leur gourou parler de redonner à l’Amérique sa grandeur, ils comprennent qu’il veut redonner à l’Amérique sa blancheur. Pourtant, il faudra qu’ils acceptent la réalité, car l’ajout de nuances de couleurs à l’Amérique est là pour de bon.

Autrement dit, il leur faudra oublier les privilèges du passé et réaliser qu’il est fini le temps où ils n’avaient pas besoin de se comparer à ceux qu’ils regardent de haut pour réussir dans la vie. Aucun système de magouille, si élaboré soit-il, n’arrêtera la marche de l’histoire. Les républicains devront choisir entre additionner les appartenances et célébrer l’Amérique plurielle ou miser sur le vote des Blancs et disparaître à petit feu. La tricherie sur fond de racisme ne suffira pas à empêcher les nuances de couleurs d’entrer dans cette maison qu’ils souhaiteraient garder toujours blanche.

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