Nous sommes, chronologiquement ces jours-ci, dans le deuxième sous-sol de l’année. Du 26 au 30 décembre, ce sont des jours suspendus entre deux fêtes, deux frénésies. Cinq jours qui échappent au calendrier, dont les nuits sont profondes. Entre deux fêtes, gavés, désœuvrés, nous en profitons pour faire des bilans. Et c’est vertigineux.

Ces jours dans les limbes nous mettent face à nous-mêmes. Nous entrevoyons brièvement l’imperfection de nos existences et, paniqués, nous nous ruons sur les fameuses résolutions, ces solutions fallacieuses à l’anxiété qui nous habite. Ces jours de trop qui nous obligent à une introspection sont un nécessaire passage vers la nouvelle année.

J’en parle, car j’ai l’impression qu’à l’échelle du temps social, depuis 22 mois, nous avons le piton collé sur un gigantesque 26 au 30 décembre. En sommes-nous au 28 ou au 29 ? Je l’ignore. Mais force est de constater que nous sommes dans l’obscurité, que les balises sont floues, la réflexion plus solitaire que solidaire. Nous vivons des temps inquiétants, nous qui, pour l’immense majorité, n’avions pas vu nos vies traversées par la furie de l’histoire. Nous vivons repliés et tapis.

Et si nous profitions de cette éclipse, de cet équivalent global des jours vides de l’année, pour réfléchir sur notre société qui se révèle malade de son système de santé ? Histoire d’avoir un plan lorsqu’inévitablement, le monde s’éclairera de nouveau…

Je ne parle même pas ici de réclamer une commission d’enquête sur la gestion calamiteuse de la pandémie dans plusieurs CHSLD au printemps 2020, qui pourtant le mériterait. Ça va bien au-delà. C’est à une réflexion globale sur la manière dont le système de santé GÈRE LE QUÉBEC que j’en appelle. Car notre État est géré comme un hôpital. C’est le nombre de lits disponibles qui dicte ultimement le nombre de personnes qui peuvent se réunir autour d’une dinde, ce que nous ferons, s’il y aura couvre-feu, quelle entreprise devra fermer.

Le gouvernement gère l’ensemble de la vie de la population en fonction du nombre de lits disponibles dans les hôpitaux, sans avoir fait quoi que ce soit pour augmenter la capacité du système de santé. Pas la capacité des soignants à prodiguer des soins à des humains : le nombre de lits ! C’est au-delà de l’idéologie. C’est de la comptabilité érigée au fil des gouvernements successifs en système.

Certes, à travers cet impératif des lits, il y a des gens admirables et des soignants exemplaires, mais eux aussi astreints à l’implacable logique du nombre de places. Est-ce normal, sain ? Que ce soit un calcul aussi… comptable qui dicte non seulement la logique des soins (fermer une salle d’opération en temps « normal »), mais en temps de crise, l’organisation de la vie de toute une société dans ses moindres détails très privés ?

La crise de la COVID-19 aura agi comme un révélateur extraordinaire : ultimement, la bonne marche de la société québécoise de 2021 ne dépend pas de son niveau d’éducation, d’une préoccupation pour ses fractures sociales et régionales, pas plus qu’un désir d’aplanir ses disparités économiques. Non. Ce qui ordonne la bonne marche de la société, qui en est le socle, est une bête question de lits disponibles. Mais quelle est cette logique déshumanisée ?

C’est plus que de l’hospitalo-centrisme, c’est une dérive de la morale publique et de la vie démocratique.

Le système de santé est fragile, certes, on y investit au fil des ans des milliards de dollars. Il est justement décrit comme un mammouth, il fonctionne à force de don de soi des gens qui y travaillent et qui le maintiennent à bout de bras. Il était déjà saturé avant la pandémie, on continue à le botoxer pour qu’il ait l’air vivant, alors que sa remise en question devrait impérativement être globale. Nous vivons en Absurdistan.

Du nombre de places disponibles dans un système malade dépendent non seulement notre santé, notre vie, mais qui nous voyons, quand et dans quelles circonstances. C’est juste fou.

Personnel soignant, politiciens, bureaucrates, éthiciens, usagers du système, population en général : nous sommes tous demandeurs, je crois, pour une révision profonde de ce système blessé à mort, et qui est en train d’entraîner la société dans son implosion tragique.

Les nuits des jours de limbes de l’année sont les plus longues pour chacun d’entre nous, mais collectivement, aussi. Cette fin d’année métaphorique dure depuis 22 mois. Mettons à profit le temps de réflexion qui nous est offert. Car au calendrier, au terme de ce temps étiré survient la nouvelle année, riche de tous les possibles. Arrangeons-nous donc pour que la volonté de changer nous inspire collectivement…

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