Lors de la Conférence de Glasgow de 2021 sur les changements climatiques (COP26), le premier ministre libéral de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, a créé un malaise des deux côtés de l’Atlantique en annonçant au monde que l’exploitation de pétrole se situait au cœur de sa stratégie de transition écologique. Sans ironie aucune, Furey est allé à la COP26 pour promouvoir son industrie pétrolière. Comment expliquer une telle bouffonnerie ?

Furey soutient que le pétrole terre-neuvien est si propre qu’il constituerait une option de choix pour les consommateurs souhaitant diminuer leur empreinte carbone. Autrement dit, le pétrole terre-neuvien n’est pas comme les autres et son exceptionnalisme mériterait d’être reconnu sur la scène internationale.

Cette idée est la mieux exposée dans le plan de relance économique publié par le gouvernement terre-neuvien en mai dernier, The Big Reset, où on lit que les émissions de carbone par baril de pétrole de la plateforme Hibernia sont effectivement faibles en perspective comparée, trois fois moindre que celles de certains sites d’exploitation albertains. C’est dans ce contexte que la province s’était d’ailleurs engagée en 2018 à doubler sa production de pétrole d’ici 2030.

Aucunement justifiée

Bien sûr, cette posture de bonne conscience n’est aucunement justifiée. D’abord, Hibernia ne constitue qu’une des quatre plateformes pétrolières de la province. Ledit plan de relance reste flou sur l’empreinte carbone des plateformes Terra Nova et White Rose et indique explicitement qu’on ignore celle de Hebron, pourtant responsable d’environ 40 % de la production en 2019 (la dernière année avec données disponibles).

Ensuite, comme le rappellent les militants écologiques, il n’existe pas de pétrole à faibles émissions, puisque l’essentiel des émissions ont lieu lorsque le pétrole est consommé (par exemple, comme essence) plutôt que lorsqu’il est produit, transporté et transformé.

Enfin, les émissions de carbone ne représentent qu’une dimension de la crise écologique en cours.

Or, il faut savoir que les gisements pétroliers terre-neuviens se situent au cœur d’un écosystème marin caractérisé par une biodiversité extraordinaire reconnue par la Convention sur la diversité biologique des Nations unies. Dans son ouvrage intitulé Fossilized (UBC Press, 2020), la politologue Angela Carter mesure toute l’insuffisance des politiques environnementales présentement en place pour protéger cette biodiversité, soulignant les risques associés notamment aux marées noires, aux décharges légales de déchets hydrocarburés, aux bruits sous-marins, à la pollution lumineuse et au torchage.

Dynamique fédérale

De toute évidence, l’étrange intervention de Furey à Glasgow s’explique moins par les propriétés du pétrole terre-neuvien que par une dynamique fédérale canadienne qui voue Terre-Neuve à jouer le fou du roi. À Glasgow, alors que Justin Trudeau se donnait le beau rôle de presser ses homologues à en faire plus pour la lutte contre les changements climatiques, Furey héritait de la sale besogne de vendre du pétrole.

Pourtant, celui qui maîtrise les véritables leviers de l’exploitation du pétrole extracôtier terre-neuvien (dont la Cour suprême du Canada avait clarifié en 1984 qu’elle relevait d’une compétence fédérale exclusive sur le plan strictement juridique) est Trudeau, pas Furey.

Seulement au cours des deux dernières années, le gouvernement Trudeau a offert une aide de 320 millions de dollars à l’industrie pétrolière de Terre-Neuve, en plus d’exempter les nouveaux forages exploratoires en milieu marin du processus d’évaluation environnementale qui était en vigueur avant juin 2020, et d’autoriser 40 forages additionnels. En clair, Trudeau pèse de tout son poids pour que se réalise l’objectif de doubler la production pétrolière de la province d’ici 2030.

La part sombre du gouvernement Trudeau

En somme, derrière l’amateurisme diplomatique de Furey, se dévoile une part sombre du gouvernement Trudeau. Lors de la campagne électorale de 2015, dans la foulée de l’accord de Paris sur le climat qui exhortait les pays riches à diminuer immédiatement leurs émissions de carbone, les libéraux avaient promis de graduellement supprimer les subventions à la production de combustibles fossiles.

Le moins qu’on puisse dire est que la promesse a été rompue avec éclat. Selon un rapport du programme pour l’environnement de l’ONU publié en octobre dernier (Production Gap 2021), Exportation et développement Canada aurait, au cours des cinq dernières années, accordé en moyenne plus de 13 milliards de dollars par an à l’industrie des combustibles fossiles.

Qu’il demeure des Canadiens politiquement résignés pour rétorquer que la situation serait encore pire sous les conservateurs en dit long sur les standards que nous sommes en mesure d’imposer à ceux qui nous gouvernent.

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