Notre obsession pour un contrôle accru de l’accès aux terres agricoles ne date pas d’hier. Souvent motivé par la crainte de manquer éventuellement d’espace pour produire de la nourriture, ce contrôle cache un autre problème plus important encore qui mérite notre attention : nous aurons peut-être trop de terres agricoles, et non le contraire.

Le projet de loi 103 au Québec, qui propose des modifications sur la protection du territoire et des activités agricoles, a fait couler beaucoup d’encre dernièrement. Pendant que certains revendiquent un plus grand accès aux terres agricoles pour les citadins, d’autres veulent protéger nos terres des spéculateurs immobiliers. Un débat important, mais au-delà des bisbilles, et avec ce qui s’en vient, notre approche pour la protection des terres agricoles devra changer à tout jamais.

Les discussions autour du projet de loi 103 se basent largement sur deux principes fondamentaux. D’abord, plusieurs clament haut et fort l’impossibilité de créer des terres agricoles. Toutefois, il existe des fermes verticales. La filière serriste permet une efficacité accrue de nos espaces et cette approche prend de plus en plus d’expansion.

En second lieu, nos débats en lien avec la protection du territoire misent toujours sur le fait que la population continuera de consommer de la même façon pour encore plusieurs années. Il n’y a rien de plus faux. Avec l’engouement collectif pour les protéines végétales et l’arrivée éventuelle de nouvelles technologies émergentes comme la fermentation de précision et la viande de laboratoire qui bouleverseront nos assiettes, la protéine signifiera quelque chose d’assez différent d’ici quelques années.

Une réelle transition vers les protéines végétales s’amorce. La majorité des Canadiens continueront certainement de consommer de la viande, mais en moins grande quantité pour toutes sortes de raisons.

Selon un rapport du groupe Market Data Forecast, le marché de la protéine végétale sur la planète pourrait doubler d’ici 2026. On évalue ce marché à environ 23 milliards de dollars en ce moment. Ce chiffre pourrait donc dépasser les 48 milliards de dollars dans quelques années. Une progression énorme qui marque uniquement le début d’une nouvelle tendance. Les jeunes générations s’intéressent à une protéine plus durable, plus simple, et surtout, moins dispendieuse.

Portrait des terres canadiennes

Au Canada et partout dans le monde, il y a un vaste territoire agricole consacré à la production de nourriture pour le bétail. Voici quelques chiffres qui nous offrent un meilleur portrait des terres consacrées au soutien de nos filières animalières.

L’an dernier, selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, la production de grandes cultures au Canada atteignait 114 041 kilotonnes. Les principales cultures de plein champ comprennent toutes les variétés de blé, d’orge, de maïs, d’avoine, de seigle, de canola, de lin, de soja, de pois secs, de lentilles, de haricots secs, de pois chiches, de graines de moutarde, d’alpiste et de tournesol. Il existe énormément de cultures au Canada et au Québec.

Pour simplifier nos calculs, regardons trois types de culture : l’orge, le maïs et le blé. Selon l’Association de nutrition animale du Canada, on utilise 80 % de l’orge, 60 % du maïs et 30 % du blé cultivés au Canada pour produire des grains destinés aux filières animalières. Selon Statistique Canada, en effectuant les ratios nécessaires, environ 15 millions d’acres servent à produire des grains pour le bétail au pays. Et il ne s’agit que de trois cultures. Un terrain de 15 millions d’acres représente presque la superficie du Nouveau-Brunswick.

Bien sûr, certaines de ces terres devront tout de même se consacrer à d’autres cultures végétales, mais il y a aussi la viande de culture, ou d’autres technologies qui requièrent beaucoup moins de ressources. Vous comprenez un peu où tout cela s’en va.

Une plus grande pluralité de protéines nécessitera une production agricole plus modeste. Pour le lait, l’enfant chéri de l’agriculture québécoise, la fermentation de précision pourrait carrément éliminer notre filière laitière d’ici 15 à 20 ans. Alors qu’allons-nous faire avec nos producteurs et toutes ces terres ?

Malgré cela, la menace de manquer de terres agricoles pour nourrir la planète d’ici 2050 revient toujours au premier plan. Certains groupes s’inquiètent d’une possibilité de manquer de nourriture pour nourrir nos 10 ou 11 milliards d’habitants d’ici 2050. Et pourtant, selon les Nations unies, 40 millions de kilomètres carrés, ou 77 % des terres agricoles dans le monde sont destinés à la production animale.

Somme toute, il y a fort à parier que nous ne manquerons pas d’espace agricole. Le contraire risque plutôt de se produire. Il faudra songer à trouver de nouvelles façons d’occuper notre territoire rural et non seulement de le protéger. Le débat en lien avec le projet de loi 103 est important, mais on lui offre une portée visiblement limitée. L’agriculture se définira autrement durant les prochaines décennies.

La gestion du patrimoine agricole et le soutien que l’on offre pour nos économies rurales connaîtront un grand bouleversement. Le rôle et la fonctionnalité de nos terres changeront en vertu d’une demande alimentaire beaucoup plus fragmentée compromettant l’occupation de notre territoire agricole. Et si c’est bien le cas, la situation s’annonce beaucoup plus grave que de simplement se demander qui doit assurer la gestion et la propriété de nos terres.

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