Avant même que l’on sache grand-chose sur ce variant qui aurait émergé en Afrique du Sud, la société Moderna nous annonçait se lancer sur la piste d’une autre adaptation, celle de sa recette, pour inclure le nouveau méchant qui aurait évolué pour déjouer partiellement ou entièrement les anticorps induits par les vaccins.

On ne sait pas encore si le nouveau variant va outrepasser notre immunité, mais si c’est le cas, il faut reconnaître que la situation représente une grosse mine d’or pour les propriétaires de vaccins à ARNm. Quand je parle de la situation actuelle, je pense à la combinaison de cet énorme réservoir de non-vaccinés dans les pays du Sud pour générer des variants suscitant une grande frousse dans les pays du Nord, qui allongeraient toujours plus d’argent pour se protéger. Voilà un lucratif scénario pour les propriétaires de ces nouvelles formules d’immunisation. La preuve : le simple fait d’annoncer l’émergence d’Omicron a fait grimper substantiellement les actions des groupes Pfizer et Moderna. Vous connaissez l’histoire du fabricant de logiciels antivirus qui ne détesterait pas qu’un virus informatique nouveau genre perce son système de protection pour pouvoir vendre les mises à jour aux propriétaires d’ordinateurs ? Sans tomber dans les théories du complot, c’est un peu cette trame qui semble s’écrire sous nos yeux.

Je suis de ceux qui pensent que les vaccins sont le pilier central de la lutte contre cette pandémie. Mais, comme l’a souvent évoqué le président Joe Biden, à partir de combien de milliards de profits ces grandes entreprises accepteront-elles de libérer les brevets sur ces molécules contre la COVID-19 ? On dirait que ce n’est malheureusement pas demain la veille. Pourtant, c’est là que se trouve la solution. Laurence Boone, cheffe économiste de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a clairement expliqué que la solution à la pandémie passait bien plus par le partage des vaccins que par la réclusion des pays du G20 dans ce qu’ils pensent être des bulles. Elle a rapporté que les pays du G20 ont dépensé 10 000 milliards de dollars pour protéger leur économie pendant la crise, alors que vacciner la planète, qui est une solution bien plus durable, ne coûterait que 50 milliards.

Entre construire un pont immunitaire avec les pays du Sud et ériger des remparts de plus en plus hauts autour du G20, il faudra choisir la solution la plus économique.

Mais un problème se pose. J’entends beaucoup de gens parler de la nécessité de partager les vaccins pour régler la crise de façon durable. La vérité est qu’au-delà de la disponibilité, c’est aussi le type de vaccins qu’on envoie « par solidarité » dans les pays émergents qui pose problème. J’arrive tout juste d’un séjour en Afrique où les vaccins d’AstraZeneca et la recette à une dose de Johnson & Johnson qui y sont acheminés peinent à trouver preneur. Mettons-nous à leur place. Vous entendez dans les médias des Occidentaux condamner ces vaccins – à tort ou à raison – et même, dans certains cas, vous apprenez qu’ils refusent carrément de les recevoir. On peut difficilement vous reprocher de ne pas être enthousiaste à l’idée de vous le faire injecter. Beaucoup perçoivent dans cet élan de générosité occidental un relent de colonialisme. Si ces vaccins ne sont pas assez bons pour les populations occidentales, pourquoi devrait-on les accepter, se demandent de nombreux sceptiques. Il ne faut donc pas s’étonner que, malgré les publicités des gouvernements qui appellent à se faire vacciner, les programmes de vaccination traînent de la patte dans beaucoup de pays du Sud. Je parie que bon nombre de ceux qui ont refusé le vaccin dans le Sud changeraient d’idée s’ils étaient certains de recevoir une dose de vaccin à base d’ARNm avec lequel on vaccine la population canadienne. Entendons-nous bien, je ne critique pas ici l’efficacité de cette génération de vaccins. À preuve, je suis moi-même immunisé avec deux doses d’AstraZeneca. Ce que je soulève, c’est une image et une perception qui sont loin d’être anodines.

Partager ou donner

Ma défunte mère faisait souvent cette différence entre le verbe partager et le verbe donner. Elle disait que partager, c’est se départir de ce à quoi on tient alors que donner, c’est parfois une simple façon de se débarrasser de ce à quoi on ne tient pas. En cela, envoyer des vaccins dont on ne veut plus ne relève pas tellement du partage.

Malheureusement, comme ces vaccins à ARNm sont des filets mignons et qu’un filet mignon est une nourriture de riches, leur utilisation dans des programmes d’immunisation de masse des pays émergents n’est pas pour demain. Que voulez-vous ? Il paraît qu’avant de partager, il faut d’abord servir les troisièmes doses à tous, et peut-être même mettre les bouchées doubles pour trouver une nouvelle recette efficace contre le variant baptisé Omicron. En attendant, le virus se la coule douce dans un gigantesque réservoir où il peut se multiplier abondamment et jouer aux échecs avec nos vaccins. Ainsi va la nature, si on croit au génie de Darwin caché dans sa théorie de l’évolution par la sélection naturelle. Depuis toujours, entre les humains et les microbes règne une course aux armements où chaque artillerie sortie de nos laboratoires trouve sa réponse adaptative.

Cette forme de vie a beau être invisible, elle est bien plus coriace et résiliente que nous. On peut même parier que si l’aventure des Sapiens tournait au vinaigre, les microbes survivraient à notre passage dans la biosphère.

Faut-il s’étonner qu’un mutant parvienne un jour à déjouer totalement nos vaccins ? Pas du tout. Cette façon de berner nos systèmes de défense est même devenue une banalité pour les pathogènes. L’année passée, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) nous annonçait que les boucliers développés par les microbes résistaient de plus en plus à tous les antibiotiques, antiviraux, antifongiques et antiparasitaires que l’humanité prenait naguère pour des armes de protection massive. La résistance aux antimicrobiens provoque chaque année 700 000 morts sur la planète. Si la tendance se maintient, ajoute la Fédération internationale de l’industrie du médicament, cette résistance aux antimicrobiens pourrait provoquer annuellement jusqu’à 10 millions de morts en 2050.

La solidarité comme solution

Omicron, c’est la quinzième lettre de l’alphabet grec. Ce qui veut dire que beaucoup de variants d’intérêt se sont succédé depuis que le SARS-CoV-2 est débarqué dans nos vies. Il y en aura probablement d’autres. Alors, puisque Pfizer a déjà fait énormément d’argent, n’est-il pas éthiquement temps de parler d’une baisse substantielle des prix des vaccins ou d’une levée provisoire des droits sur la propriété intellectuelle, comme le suggère le président des États-Unis ? Sinon, que fait-on ? Allonger toujours plus de milliards vers ces sociétés pharmaceutiques pour se protéger des variants ou se dépêcher de fermer les frontières quand la population panique et que la pression médiatique s’accentue ? Cette fois-ci, avant même de savoir si le variant a effectivement émergé en Afrique australe, on a organisé des blocus aériens et terrestres avec plusieurs pays de la région. Pourtant, si ce mutant avait d’abord été détecté aux États-Unis, on aurait longuement réfléchi avant de fermer les frontières. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est insurgé mercredi, à juste raison, contre ce qu’il considère comme un scandale, voire un « apartheid » contre les pays africains ciblés.

Confiner les citoyens et les voyageurs en provenance des pays d’Afrique australe peut aider à retarder la propagation du virus, mais cela ne pourra pas empêcher un variant de progresser, car nos systèmes économiques sont basés principalement sur l’ouverture des frontières.

Les fermetures de frontières ont-elles empêché le variant Delta de se disperser sur la planète ? Le nouveau venu finira lui aussi par se répandre partout, car la mondialisation des cultures et des économies est porteuse d’un projet microbien. L’histoire des Premières Nations d’Amérique contient d’ailleurs un malheureux chapitre sur cette mondialisation des pathogènes par les explorateurs et les colons européens. Bref, maintenant que tout est imbriqué, il n’y a aucune façon d’empêcher véritablement un virus qui a émergé en Afrique du Sud de prendre l’avion pour une pérégrination planétaire.

La seule façon d’éviter de façon durable ces épisodes traumatisants se trouve dans une véritable solidarité vaccinale. Mais pas celle qui consiste à envoyer dans le Sud les vaccins dont les pays du G7 ne veulent pas. L’adage « à cheval donné, on ne regarde pas la bride » ne s’applique pas avec ce délicat sujet.

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