Alors que l’indice des prix à la consommation vient d’atteindre 5,1 % pour la première fois en 30 ans et que l’on a signalé la fin des programmes d’aide au revenu mis en place pendant la pandémie, le calcul est simple : de nombreux ménages québécois se retrouvent avec un frigo dégarni qui coûte encore plus cher à remplir aux portes de l’hiver.

Cette inflation laisse présager sa suite logique, à savoir une augmentation des demandes qui seront faites aux organismes communautaires d’aide alimentaire. La roue économique qui tourne n’est pas toujours heureuse pour la population fragilisée financièrement.

Alors que plusieurs pensaient que le pire de la pandémie et de ses impacts était derrière nous, Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de recherche en sciences analytiques agroalimentaires de l’Université Dalhousie, estime plutôt que le pire est DEVANT nous, avec des prix qui continueront d’augmenter jusqu’au milieu de l’hiver.

Le Regroupement Partage observe déjà depuis quelque temps un lien direct entre la hausse du prix du panier d’épicerie et l’augmentation des demandes d’aide. Et qui dit demande supplémentaire dit pression supplémentaire sur le réseau d’entraide : 20 % des intervenants communautaires indiquaient vivre de l’épuisement professionnel avant même la pandémie ! Cette situation a inévitablement empiré de façon considérable durant les derniers mois. Dans certains quartiers montréalais, les demandes ont explosé jusqu’à 300 %⁠1 au pire de la pandémie. Les organismes communautaires d’aide alimentaire ont su réagir à la crise avec créativité et résilience, mais avec la pénurie de main-d’œuvre et le manque d’effectifs, les équipes sur le terrain sont plus que jamais à bout de souffle.

S’ajoute à cela la capacité financière limitée des organismes dont les collectes de fonds ont été soit remises, soit moins prolifiques que par le passé, à aider davantage, rendant ainsi le risque d’une rupture de services bien présent.

D’autre part, nous saluons le geste du gouvernement Legault et de son ministre des Finances, Eric Girard, de vouloir alléger le fardeau des ménages et des bas salariés en offrant des crédits d’impôt et des allégements financiers.

Cette mesure ponctuelle est certainement bienvenue, mais elle est l’arbre qui cache la forêt. La forêt d’un système qui défaille, qui ne tient qu’à un fil, et qui ne parvient pas à aider suffisamment.

Est-ce qu’on veut attendre, est-ce qu’on peut se permettre d’attendre que ce système de soutien vacillant tombe complètement ?

Quand l’aide de première ligne offerte aux Québécois en détresse s’écroulera, les mailles de notre filet social s’élargiront dangereusement.

Le Regroupement Partage et ses organismes communautaires partenaires présents dans 21 quartiers montréalais sont inquiets de ne pas pouvoir :

  • aider les parents, comme Danny, papa de sept enfants, dont une adolescente lourdement handicapée, et pour qui la reprise du travail tarde en raison de la COVID-19 ;
  • continuer de soutenir les mères chefs de famille monoparentale comme Marie-Lucie, récemment séparée de son conjoint, qui, suivant sa perte d’emploi, est retournée aux études, tout en s’occupant à plein temps de ses trois enfants âgés de 6, 8 et 9 ans ?
  • maintenir le service pour les personnes âgées dont les revenus de retraite ne sont pas suffisants pour assurer les besoins de base, comme c’est le cas pour Claude et sa conjointe et tant d’autres.

Cela fait plus de 20 ans que le Regroupement Partage œuvre en sécurité alimentaire, plus de 20 ans que l’on comprend que la précarité financière des individus entraîne bien d’autres enjeux sociaux, plus de 20 ans que l’on voit ses impacts sur la santé, sur la délinquance, sur la détresse, sur la négligence, impacts qui coûtent des milliards de dollars à notre société.

Plus de 20 ans que des actions et des programmes divers en lutte contre la pauvreté ont été déployés. Plus de 20 ans que l’on continue de voir la détresse et la pauvreté.

Nous rêvons de devenir inutiles, que notre action ne soit plus requise, que la pauvreté soit chose du passé. Malheureusement, le constat que nous faisons est bien différent.

La faim et l’insécurité alimentaire représentent toujours un défi quotidien pour des milliers de nos concitoyens. En 2021, plus de 600 000 Québécois se sont tournés vers les banques alimentaires chaque mois. ⁠1

Un Québécois sur trois éprouve des difficultés financières dans au moins un des besoins de base – ce qui veut dire, concrètement, qu’il doit choisir, par exemple, entre acheter de la nourriture et payer son loyer.

Après plus de 20 ans d’actions ponctuelles soutenues, il est temps que l’on se permette de prendre un peu de recul, que l’on regarde la forêt tous ensemble, représentants de différents milieux, afin de faire de la lutte contre la pauvreté une véritable priorité sociale.

1. Consultez le portrait de la faim 2021 du réseau des Banques alimentaires du Québec Consultez le site du Regroupement Partage Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion