Les auteures demandent au premier ministre François Legault de régler le conflit de travail dans les CPE par une entente négociée afin, disent-elles, « de sauver nos santés mentales et celles de nos enfants, mais aussi de sauver notre système d’éducation à la petite enfance ».

Il y a quelques années, nous avons fait le choix d’être parents ; le plus beau métier du monde, nous disait-on… Si nous, les familles du Québec, sommes en plus grand nombre depuis quelques années, c’est certainement parce que nous vivons dans une société qui nous permet de faire ce choix.

En effet, le Québec construit depuis plusieurs décennies une société qui nous permet, parents, de nous épanouir au travail, de nous impliquer dans notre collectivité et d’élever nos enfants. Tous les jours, nos familles construisent le Québec de demain avec cœur et passion, mais aujourd’hui, ce projet de société est hypothéqué.

Depuis presque deux ans, nous, les familles, sommes silencieuses, obéissantes et résilientes. Nous avons construit des bureaux de fortune dans nos logements trop petits, nous avons été des pédagogues pour nos enfants tout en assurant notre prestation d’emploi à temps plein, nous avons assuré l’épanouissement de nos enfants malgré le contexte incertain et l’absence des grands-parents, nous nous sommes coupés de notre réseau social pour minimiser les risques, nous avons rempli nos fenêtres d’arcs-en-ciel pour montrer notre soutien et notre solidarité, le tout en clamant que « ça va bien aller », nous avons sollicité notre réseau et entrepris thérapie et médication (quand c’était disponible !) quand ça allait beaucoup moins bien. Cependant, M. Legault, sachez que ça ne va plus… Nous sentons que l’épuisement parental est à nos portes.

Nous sommes tous conscients du bien-fondé des règles sanitaires, et comprenez bien que nous ne nous opposons pas à celles-ci, toutefois, elles compliquent beaucoup notre quotidien. Entre les disparités des règles dans les écoles et celles dans les services de garde, on perd le fil.

S’ajoutent à cela les exclusions dues à des symptômes, qui sont en fait dans la grande majorité du temps des symptômes de rhume, et les éclosions dans les écoles et les CPE qui demandent de longs isolements de plusieurs jours chaque fois. Ainsi, nos enfants ne sont que très peu à l’école ou au CPE, et surtout, il nous reste peu de temps pour être complètement disponibles pour le travail. Nous avons toutes et tous peu de contrôle sur cette pandémie, on prend donc tout notre courage et notre résilience afin de garder la tête hors de l’eau encore quelque temps. Nous réorganisons nos horaires, restons auprès de nos enfants le jour et rattrapons notre travail le soir, diminuant toujours plus nos périodes de repos. Cependant, il semble que ce n’était pas suffisant, car depuis septembre, un nouvel élément s’ajoute à notre réalité, les grèves dans les CPE…

Pour une réelle égalité des chances

Rappelez-vous, M. Legault, l’époque de la création des CPE. Ce modèle de garderie, envié à travers le monde, nous a vu grandir et nous a permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui. Ce modèle, cher aux Québécoises depuis plus de 25 ans, allait permettre non seulement aux femmes d’accéder plus facilement au marché du travail, mais aussi de propulser le Québec vers plus d’égalité entre les hommes et les femmes. Le réseau des CPE n’a pas simplement permis d’offrir un service de garde aux familles, il a aussi permis une professionnalisation des emplois du secteur afin d’offrir un milieu de vie exceptionnel à nos tout-petits. Ces milieux apportent une éducation de qualité et un lieu de prévention qui promeut l’importance de l’égalité des chances pour chaque enfant et sa famille. Les projets ambitieux issus de la politique familiale de 1996 ont réussi, M. Legault, et il est maintenant temps de le reconnaître et d’améliorer l’accessibilité de ce réseau à toutes les familles, afin d’offrir une réelle égalité des chances à tous les enfants.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

« Depuis septembre, un nouvel élément s’ajoute à notre réalité, les grèves dans les CPE », écrivent les cosignataires qui demandent au gouvernement de régler ce conflit de travail.

Les protocoles sanitaires ajoutés à la grève dans les CPE engendrent présentement des conséquences sur la société qui demanderont des années à récupérer. Les parents déjà exténués atteignent la limite de leur capacité même à rester en emploi, c’est une catastrophe sociale en préparation. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, le Québec ne peut se permettre de perdre ces travailleurs et ces travailleuses.

En effet, chaque journée de grève supplémentaire (qui s’ajoute aux nombreux effets de la pandémie) réduit directement la production nette et la productivité des parents en emploi.

De plus, malheureusement, bien que les modèles de familles soient de plus en plus égalitaires, il appert que ce sont encore les femmes qui font les frais de la charge mentale supplémentaire, et qui doivent s’adapter davantage. Alors que la politique familiale de 1996 avait comme objectif de favoriser la conciliation travail-famille pour relancer l’économie, nous reculons encore une fois. Les besoins à la base d’une conciliation travail-famille ne sont clairement pas comblés à l’heure actuelle et, en ce sens, il y a une inégalité dans la distribution des impacts qu’on ne devrait pas tolérer.

Il ne faut pas non plus se mettre la tête dans le sable : nos enfants aussi sont lourdement affectés par ces ajustements constants depuis 18 mois. Nous nous adaptons tant bien que mal, mais rarement sans impact pour eux. Dans bien des familles, les temps d’écran atteignent des sommets, la patience des parents est plus limitée que jamais, et le quotidien est chamboulé par des changements de plan en rafale. C’est d’autant plus vrai pour les familles avec des enfants en difficulté, dont la routine est la clé du bien-être. Qu’est-ce que nous offrons à cette génération ?

Nous, les familles québécoises épuisées de s’adapter, vous demandons de régler ce conflit de travail par une entente négociée afin de sauver notre santé mentale et celle de nos enfants, mais aussi de sauver notre système d’éducation à la petite enfance. Nous avons toutes et tous, collectivement, besoin des travailleuses et des travailleurs du réseau des CPE, leur rôle est majeur et il serait temps de reconnaître leur part dans notre société ainsi que la juste valeur de leur travail. N’abandonnez pas les familles québécoises qui ont fait le choix de participer au Québec de demain, et qui aujourd’hui sont à bout de force. Si vous ne pouvez rien au développement de la pandémie, vous avez tout le pouvoir nécessaire pour régler ce conflit de travail.

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