En 2000, la commission Clair a affirmé que la première ligne était le fondement d’un système de santé durable. Aussi a-t-elle proposé la création de groupes de médecine de famille (GMF), qui, dès 2001, n’ont pas tardé à s’implanter.

Les GMF constituent un changement majeur et nécessaire non seulement sur le plan organisationnel, mais aussi – ce qui est encore plus important – sur le plan de la pratique interdisciplinaire en première ligne.

Les gouvernements successifs ont fait la promotion des GMF, qui ont été bien accueillis par la population. Ils en ont même fait des promesses électorales clés. Aujourd’hui, plus de 70 % des médecins de famille québécois pratiquent dans 370 GMF, ce qui répond aux besoins de plus de 65 % de la population du Québec.

Malgré cela, l’accessibilité aux soins de première ligne est devenue, avec raison, une grande source d’insatisfaction au sein de la population et de frustration parmi les cliniciens.

Les gouvernements et les ministres de la Santé et des Services sociaux qui se sont succédé ont soutenu la croissance et la multiplication des GMF en augmentant le nombre de professionnels et de professions impliqués (infirmières, infirmières praticiennes, travailleurs sociaux, pharmaciens) et en mettant sur pied le dossier médical électronique. Ils ont également tenté de hausser le nombre de médecins de famille en se fixant pour objectif d’augmenter de 55 % la proportion de places dans les programmes de résidence en médecine de famille. Néanmoins, le problème persiste et la pandémie de COVID-19 ne fait qu’exacerber les faiblesses du système.

La question de l’accessibilité aux soins de première ligne constitue un problème complexe étroitement lié à de multiples enjeux tels que l’organisation, les ressources et leur répartition, la collaboration interprofessionnelle et intersectorielle, la productivité, etc.

Malheureusement, les gouvernements et les ministres successifs, souvent pressés par la tenue d’élections prochaines, ont échoué à trouver des solutions viables. Ils vont continuer à échouer tant que leurs tentatives seront teintées d’accusations et de changements simplistes qui mettent l’accent seulement sur la productivité et les aspects technologiques comme les systèmes de prise de rendez-vous. Encore une fois, le dénigrement et les menaces sont suivis de négociations et d’ententes qui ont lieu derrière des portes closes entre le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). Il s’ensuit une implantation des changements marquée par une centralisation encore plus excessive et une microgestion de la part du Ministère.

Persister à utiliser la même approche mènera forcément à l’échec une fois de plus, sans parler de la frustration grandissante qui entraînera des effets négatifs sur la santé de la population aussi bien que sur la durabilité de notre système de santé.

Il est temps d’adopter une nouvelle approche. Il est temps de s’arrêter et d’effectuer les changements qui s’imposent.

Par conséquent, le gouvernement devrait mettre sur pied un comité de travail restreint et indépendant composé de personnes crédibles et soutenu par les ressources adéquates. Ce comité aurait trois mois pour réaliser son mandat. Le comité devrait travailler en toute transparence et mener des discussions respectueuses et ouvertes avec les décideurs clés du Ministère, les représentants syndicaux, les gestionnaires du réseau, les professeurs de médecine de famille, les cliniciens et les patients.

Mandat du comité de travail

Examiner, déterminer l’ensemble des facteurs liés à l’accessibilité et formuler des recommandations pour chacun d’entre eux, notamment :

  • l’organisation de la pratique médicale en GMF ;
  • l’équilibre entre la productivité et la qualité des soins ;
  • l’utilisation optimale de tous les professionnels de la santé des GMF ;
  • l’accès aux spécialistes et aux techniques d’imagerie ;
  • l’accès aux services communautaires et la collaboration avec ces services ainsi qu’avec les partenaires communautaires ;
  • la formation, le nombre et la répartition (système PREM) des médecins de famille ;
  • le mode de rémunération et les mesures incitatives financières et professionnelles ;
  • et la revalorisation de la médecine de famille auprès des étudiants en médecine.

S’appuyer sur les solutions émergentes et les meilleures pratiques :

  • étudier un échantillon des GMF qui ont réussi à offrir une accessibilité optimale et ceux qui ont essayé sans réussir pour comprendre les facteurs du succès et les obstacles ;
  • et examiner les meilleures pratiques dans le domaine de la communication et de la collaboration avec les services communautaires, les spécialistes et les hôpitaux.

Proposer un plan d’implantation accompagné d’un dispositif élaboré de gestion du changement pour stimuler et soutenir les transformations :

  • réunir le MSSS et ses partenaires GMF au sein d’une structure de gouvernance basée sur la collaboration ;
  • engager, mobiliser, accompagner et former les cliniciens et les gestionnaires des GMF dans un processus d’amélioration de la qualité ;
  • adopter une approche étape par étape pour la mise en place de projets innovants dans plusieurs GMF de différents milieux (urbain, rural, de banlieue et de région éloignée) qui soit assortie d’une évaluation rigoureuse et continue menant à une généralisation progressive ;
  • et viser la diversité dans l’implantation et éviter l’approche prescriptive « taille unique », car ce qui fonctionne dans un GMF de Val-d’Or ne fonctionne pas nécessairement dans un GMF de Montréal ou de Sherbrooke.

Je vois déjà plusieurs personnes lever les yeux au ciel : « Encore un comité ! » Certes, le projet est ambitieux. Mais, malheureusement, les changements trop rapides ne donnent pas de bons résultats. C’est pourquoi, si une transformation majeure et durable de la première ligne, le fondement de notre système de santé, devient le but à atteindre, il importe d’accorder le temps nécessaire à une telle démarche. La population, les patients, tous les médecins et les professionnels de la santé le méritent.

* Howard Bergman a été membre de la commission Clair (2000) et est l’auteur du Plan Alzheimer du Québec (2009)

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