La poussière commençant à retomber sur la plus impressionnante expression d’émotion nationale que nous avons vécue depuis longtemps, il faut maintenant se demander ce que l’on fera du cadeau que vient de nous faire le PDG d’Air Canada, Michael Rousseau.

Car cette affaire constitue un puissant révélateur d’une situation dépassant largement le cas d’un anglophone sur lequel il est facile de taper, ne serait-ce que parce que son rejet du français semble pathologique.

Ce que cela a révélé, c’est que le problème résulte au moins autant d’une partie des francophones, les uns dénaturés, voire serviles, les autres défaitistes, quand ils ne sont pas devenus des semeurs de désespoir.

Reste à savoir si les autres Québécois qui sont en position de pouvoir se décideront enfin, au-delà des paroles creuses, à agir au bénéfice du français pendant qu’il est encore temps.

Car, de toute évidence, il est encore temps.

Quels couillons !

Le fait que nous soyons LE peuple fondateur canadien sur le plan identitaire, comme l’ancien premier ministre Stephen Harper l’avait lui-même reconnu, que le Canada soit historiquement bâti sur la conquête de ce que nous sommes, ne saurait faire oublier que cette dernière a comporté des éléments favorables au pouvoir québécois comme je l’ai fait ressortir dans Le défi québécois il y a 30 ans.

Le grand échec du Québec contemporain n’a pas été de ne pas accéder à une indépendance dont les descendants des anciens Canadiens ne voulaient pas vraiment, mais de ne pas avoir été capable de dépasser les éléments malsains de notre relation avec le reste du pays.

Trop de Québécois ont gardé une mentalité de conquis, sans aucun doute les conquis les plus choyés de la planète, mais des conquis quand même, avec les atavismes de soumission que cela implique.

C’est à cela que faisait penser le récent éditorial de Stéphanie Grammond1 rappelant que ce qui a été pire, au fond, que le discours en anglais de M. Rousseau, c’est que la communauté des affaires l’a unanimement applaudi : « Parmi les 320 personnes qui participaient au déjeuner-causerie, pas un chat ne s’est levé pour dénoncer Michael Rousseau. »

Pas un seul…

C’est comme ce courageux président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain qui, en acceptant que le PDG d’Air Canada s’adresse uniquement en anglais aux membres de sa prestigieuse organisation, a incarné cette mentalité de colonisé expliquant comment on peut vivre 14 ans à Montréal sans apprendre le français.

Semeurs de désespoir

Cela dit, il serait trop facile pour certains nationalistes de jouer les victimes en escamotant leur responsabilité dans cette affaire par leur côté incroyablement défaitiste. Avant même que les combats ne soient terminés ou même livrés, ils ne proposent jamais rien dans un système dont ils se sont convaincus qu’il est totalement fermé au pouvoir québécois.

Le message alarmiste qu’ils envoient aux jeunes générations sur l’avenir du français au Québec en est venu à constituer une partie importante du problème. Quel jeune Québécois voudra miser sur une langue dont on lui répète sans cesse qu’elle n’a pas d’avenir ?

Certains souverainistes – pas tous, heureusement – semblent être devenus des semeurs de désespoir sur l’air du « On vous l’avait bien dit ! » comme si le Québec ne méritait pas de vivre puisqu’il n’a pas accédé à une indépendance dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas pour demain.

C’est oublier, entre autres, la géopolitique nord-américaine, le fait que l’indépendance ne constituerait pas une solution magique à la vulnérabilité du français, celle de l’Irlande n’ayant pas empêché la disparition du gaélique.

Et les autres…

Et il y a tous les autres, qui ne sont ni serviles ni dénaturés, défaitistes ou semeurs de désespoir. Qui croient que le français doit rester clairement prédominant au Québec, tout en n’adhérant pas à l’absurde discours sur Montréal déjà ville anglophone.

Parmi eux, il y a en tout premier lieu le premier ministre François Legault, dont le projet de loi sur le français manque cruellement de force, mais qui s’est refusé jusqu’à présent à appliquer la loi 101 aux cégeps. S’il estime qu’il existe d’autres façons de donner à la loi 96 le cœur structurant qui lui fait défaut, qu’il le dise et qu’il les mette en œuvre, c’est le temps ou jamais.

Et il y a à Ottawa Justin Trudeau, l’héritier de celui qui a constitutionnalisé, il y a 40 ans, la mise sur le même pied du français et de l’anglais au Canada. Entre deux génuflexions devant les leaders autochtones, on aimerait savoir ce que propose ce « fier Québécois francophone », comme il aime se qualifier, pour réparer sa trahison éhontée de l’héritage de son père par la nomination de quelqu’un qui ne parle pas le français comme chef d’État du pays.

1. Lisez Notre éditorial « Que les patrons se lèvent pour le français ! » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion